Hôte pour la première fois d’une réunion intersessionnelle de la Communauté caribéenne, dite Caricom, les 18 et 19 février derniers, Haïti a obtenu que le français devienne la seconde langue de cette organisation internationale. Selon le ministre haïtien des Affaires étrangères, Pierre-Richard Casimir, cette « décision sera effective dans six mois, lors du prochain sommet de l’organisation prévu à Trinité-et-Tobago ».
Haïti avait déjà formulé cette demande plusieurs mois auparavant, mais sans succès. Il faut dire que parmi les 15 pays membres et 5 associés de la Caricom, seul Haïti est francophone.
Quel est donc l’intérêt d’adopter le français comme langue pour une communauté composée en très grande majorité d’anglophones ?
A cette question totalement justifiée, les gouvernants haïtiens ont toujours répondu en terme de nombre : Haïti compte plus de 10 millions d’habitants, ce qui constitue la moitié de la population de la Caricom ; et de ce fait, il leur apparaissait tout-à-fait normal que la Caricom adopte le français, afin que la communication, les documents officiels de la communauté soient également en français.
Ils ont également joué la carte « émotionnelle », le président de la République d’Haïti arguant du fait qu’il se sentait « seul au monde » dans les réunions de la Caricom, selon les propos recueillis par la journaliste Amélie Baron pour le média RFI :
« Haïti n’a pas, par exemple, pris la présidence (tournante de la Caricom, NDLR) peut-être à cause de ce déficit, explique-t-il. Quand on ne comprend pas ce qui est dit, on ne participe pas. Mais aujourd’hui, grâce au fait que le français soit là, l’Haïtien pourra se reconnaître, comprendre, discuter, proposer et faire des débats. Quand on ne peut pas s’exprimer, se faire comprendre ou quand on ne comprend rien, on est seul, isolé dans un monde. »
Un argument un peu court, selon moi, le président Michel Martelly pouvant tout-à-fait avoir recours à un traducteur, comme le font nombre de ses homologues dans les différents sommets internationaux.
Haïti a vu sa demande renforcée par les récentes demandes d’adhésion à la Caricom de la Guadeloupe et la Martinique.
En effet, l’Etat français ayant donné son accord en juillet 2012, les départements guadeloupéen et martiniquais ont entrepris de devenir membres de différentes organisations d’intégration et de coopération caribéennes. Avec succès, puisqu’ils sont déjà devenus membres dès août 2012 de la Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC) et leurs dossiers sont en cours d’instruction pour l’Association des Etats de la Caraïbe et la Caricom.
Le français désormais seconde langue officielle, le travail ne fait que commencer pour la Caricom afin de réellement concrétiser cette décision. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil au site officiel de la Caricom pour comprendre l’étendue de la tâche.
Il va donc falloir traduire tous ces documents, mais en plus désormais communiquer aussi en français, ce qui va nécessiter des moyens supplémentaires, à commencer par l’emploi de traducteurs-rédacteurs. La décision devant être effective pour la prochaine réunion, qui aura lieu le 4 juillet à Trinidad-and-Tobago, le compte à rebours est lancé.
Le français, c’est bien beau, mais on aurait préféré le créole.
C’est en substance les commentaires qu’ont déclenché la demande haïtienne et l’accord de la Caricom. Et c’est en Haïti même que ces voix se sont élevées, avançant plusieurs arguments. Le premier est que le français n’est parlé que par une « infime partie de la population » haïtienne. En somme, l’adoption du français comme langue officielle ne servirait à (quasiment) rien…
A l’inverse, adopter le créole serait une avancée fort utile, car lui est employé par une grande partie des Haïtiens, mais en plus est compréhensible par d’autres Caribéens, même si ces derniers parlent un créole différent.
« “Au niveau géolinguistique, le Créole a une grande importance en terme de pourcentage de population qui le parle. Il représente 61 pour cent d’usagers dans la Caricom”, fait valoir le doyen de la Faculté linguistique appliquée, Rogéda Dorcé Dorcil. » (Alterpresse)
Cette question de l’adoption du créole comme l’une des langues de la Caricom fait l’objet de discussions depuis plusieurs mois, sans résultat.
Je ne peux que m’interroger sur les réticences à ce sujet, d’autant que, si je me fie à mes lectures, elles n’ont pas été exprimées clairement par des gouvernants de la Caricom… Selon moi, le français étant devenu seconde langue de la Communauté, il n’y a aucune raison valable pour que le créole ne le soit pas.
Billet publié le 21 février 2013 sur mon précédent blog et légèrement modifié.
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