Ce qui tue les entreprises en Guadeloupe

J’en suis venue à détester le mot résilience, surtout lorsqu’il est accolé à entrepreneuriat. Comme si, pour exister ou survivre, l’entrepreneur guadeloupéen devait forcément souffrir, encaisser, rebondir, recommencer — sans jamais se plaindre. Comme si les difficultés n’étaient pas le symptôme d’un système à repenser, mais l’épreuve normale d’un parcours entrepreneurial « tropicalisé ». Pourtant, ce n’est pas le manque de courage, de créativité ou de détermination qui fait défaut en Guadeloupe.

Ce sont les obstacles systémiques, récurrents, qui plombent les élans.

Voici, sans détour, pourquoi beaucoup d’entreprises disparaissent.

La complexité administrative

Créer, gérer ou développer une entreprise implique de naviguer dans un labyrinthe de formalités souvent décourageantes. Trop de documents, trop de délais, trop de rigidité… Le système n’est pas pensé pour être agile ni accessible.

Des charges et coûts fixes trop élevés

Entre les cotisations sociales, les loyers commerciaux et les factures d’énergie ou de télécommunication, les coûts explosent. Et ce, sans garantie de qualité ou de régularité des services.

Un accès difficile au financement

Obtenir un crédit bancaire, une subvention, relève parfois du parcours du combattant. Les critères sont trop éloignés des réalités du terrain, et les structures d’accompagnement souvent débordées ou peu réactives.

La dépendance à l’importation

Produire localement est coûteux. Importer l’est encore plus. Les délais, frais de transport, taxes douanières et ruptures d’approvisionnement désorganisent les activités et grèvent la rentabilité.

Un marché local restreint et fragile

La Guadeloupe compte un peu plus de 380 000 habitants, dont beaucoup avec un pouvoir d’achat contraint. Difficile donc de viser une croissance significative sans exporter ou se diversifier rapidement.

Le manque de continuité dans les politiques publiques

Trop souvent, les dispositifs d’aide sont lancés dans l’urgence ou dans un effet d’annonce, puis arrêtés, modifiés, ou mal évalués. Cette instabilité nuit à la confiance et à la stratégie de long terme.

Quand elles existent, certaines aides publiques sont notifiées… puis versées des mois, voire un an plus tard. Entre-temps, les projets sont bloqués, les trésoreries asphyxiées, et la confiance dans les institutions entamée.

Et que dire des bons de commande, des décisions d’appels à projets, qui prennent des lustres pour arriver !

Des difficultés de recrutement et de fidélisation

Certains métiers manquent de main-d’œuvre, d’autres souffrent d’un manque de formation. Résultat : trouver le bon profil, le former, le garder devient une équation quasi impossible.

Un retard dans la transformation numérique

Sites internet vétustes ou inexistants, mauvaise maîtrise des outils de gestion ou d’e-commerce, absence sur les réseaux sociaux… Beaucoup d’entreprises perdent en compétitivité faute de transition numérique réelle.

Un manque de coopération entre entreprises

La logique de réseau, de mutualisation ou de groupement est encore peu développée. Les entrepreneurs avancent souvent seuls, sans synergie ni appui structuré, ce qui les rend vulnérables face aux grandes enseignes.

Des prestataires parfois peu fiables

Entre les experts-comptables débordés qui déposent les bilans hors délai, les avocats qui disparaissent après un acompte, ou les prestataires de services non professionnels, trop d’entrepreneurs paient les frais d’un écosystème où la fiabilité n’est pas toujours au rendez-vous.

Les clients qui paient en retard… ou pas du tout

Trop d’entrepreneurs doivent composer avec des retards de paiement chroniques, des promesses non tenues ou des factures impayées. Ces comportements nuisent directement à la trésorerie, à la capacité d’investissement, et au moral. Quand une entreprise doit courir après son argent, elle ne peut pas avancer.

Les aléas climatiques et l’instabilité sociale

Grèves, blocages, mouvements sociaux, mais aussi cyclones, inondations… L’activité économique est régulièrement interrompue. Or, très peu d’entreprises sont préparées ou assurées pour faire face à ces imprévus.

Et n’oublions pas : l’entrepreneur reste un humain comme les autres

Il serait malhonnête d’imputer tous les échecs à l’environnement externe. Des entreprises échouent aussi à cause d’une mauvaise gestion, d’un manque de vision, d’un management toxique, ou de décisions prises sans écoute ni rigueur. L’abus de confiance, l’orgueil mal placé, l’absence de remise en question tuent également les projets. Le défi est donc double : résister aux vents contraires, mais aussi mieux se préparer à les affronter.

Ce constat n’a pas pour but de décourager, mais de nommer clairement les freins pour mieux les combattre. Car oui, en Guadeloupe, entreprendre ne devrait pas être un acte de souffrance ou de résistance. Il est temps de cesser de glorifier la résilience et de revendiquer, à la place, l’efficacité, la clarté, le soutien réel et la vision partagée.

Mylène Colmar

Journaliste, consultante éditoriale et éditrice, je vis en Guadeloupe, archipel au coeur de la Grande Caraïbe. Caribbean blogger depuis 2007, je je tiens Le blog de Mylène Colmar depuis 2015.
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