De quel droit les États-Unis mènent-ils des frappes dans la mer des Caraïbes ?

Depuis septembre 2025, les États-Unis mènent une série de frappes aériennes et de missiles contre des bateaux soupçonnés de trafic de drogue en mer des Caraïbes. Ces opérations, baptisées « Operation Southern Spear », visent des navires accusés de transporter de la cocaïne et du fentanyl vers les États-Unis.

Jusqu’à présent, au moins 22 frappes ont été confirmées, causant la mort d’environ 87 personnes sur 23 navires, dont 11 en mer des Caraïbes. La dernière frappe connue, le 4 décembre, a tué quatre personnes sur un bateau.

Ces actions s’inscrivent dans un renforcement militaire américain en mer des Caraïbes, avec le déploiement de navires de guerre (comme l’USS Gerald R. Ford), de drones MQ-9 Reaper, de chasseurs F-35 et d’environ 10 000 soldats, principalement à Porto Rico et sur des navires.

Initialement présentées comme une lutte antinarcotiques, ces opérations ont évolué vers une posture plus agressive, avec des accusations de liens entre les cartels et le régime vénézuélien de Nicolás Maduro, alimentant les spéculations sur un possible changement de régime.

En réalité, les États-Unis n’ont pas un droit clair, reconnu internationalement, pour mener ces frappes. Ils s’appuient sur une série d’arguments juridiques internes et des interprétations très extensives du droit international, mais rien qui fasse consensus. Leur « droit » est surtout un choix politique, servi par leur puissance militaire et leur capacité à imposer leur narratif.

Du côté des États-Unis : un assemblage de justifications, pas un cadre solide

Leur droit interne : ils s’autorisent eux-mêmes

Trump utilise son pouvoir de commander-en-chef pour déclarer qu’il existe un « conflit armé non international » contre des « narcoterroristes ». En interne, ça lui permet de faire agir l’armée avec l’argument classique : on protège les États-Unis.
Il recycle même l’AUMF de 2001, prévue pour Al-Qaïda, pour frapper… des bateaux de trafiquants. C’est juridiquement contestable, mais la Maison-Blanche s’en fiche. Washington a déjà étendu cette AUMF à presque tout et n’importe quoi.

Le droit international : interprétation très large de l’auto-défense

La plupart des frappes ont lieu en haute mer, donc hors juridiction nationale. Les États-Unis disent :

  • on agit en auto-défense (article 51 de la Charte de l’ONU),
  • on protège la liberté de navigation,
  • ces navires sont des menaces imminentes.

Le problème est simple : le droit international n’autorise pas à tuer des gens sur des bateaux en haute mer parce qu’on les soupçonne de trafic. Intercepter, oui. Couler des navires avec missiles, non.

Aucune résolution de l’ONU ne leur donne ce droit. Aucune coalition internationale ne soutient l’opération. Ils sont seuls.

Ce que dit réellement le droit : les US sont sur un terrain glissant

En droit international, frapper en haute mer = acte militaire sans base légale

La haute mer est un espace non souverain. Les États ont :

  • le droit d’intercepter un navire s’ils ont des preuves (Convention de Vienne 1988, CNUDM),
  • le droit de demander l’autorisation de l’État du pavillon.

Ils n’ont pas le droit :

  • d’exécuter des personnes sans jugement
  • de détruire des embarcations sans preuve
  • de mener une opération militaire unilatérale, surtout létale.

L’argument du « narcoterrorisme » ne tient pas

Les cartels ne sont pas des acteurs armés organisés relevant du droit de la guerre.
Donc, juridiquement, l’armée US ne peut pas appliquer le droit international humanitaire (LOAC) comme s’ils étaient des combattants talibans.

C’est l’une des plus fortes critiques des juristes américains eux-mêmes.

La notion de « menace imminente » est tirée par les cheveux

Pour être en auto-défense, il faut un acte armé ou une menace claire.
Transporter de la cocaïne ou du fentanyl, même en grande quantité, ne constitue pas un acte armé.

Ce qui se passe en réalité : un contournement du droit grâce à la puissance américaine

Les États-Unis savent que :

  • les États de la région (sauf Venezuela) vont protester timidement
  • l’ONU ne fera rien sans l’accord du Conseil de sécurité
  •  leur flotte domine complètement la Caraïbe.

Washington agit d’abord par rapport de force, ensuite seulement par justification juridique.

Ce n’est pas nouveau :

  • 1989 : invasion du Panama
  • 1994 : Operation Uphold Democracy à Haïti
  • Opérations antinarcotiques bilatérales depuis les années 2000
  • Jeux d’influence autour du Venezuela depuis 2019

La nouveauté 2025 : la létalité. On ne parle plus d’interceptions, mais de frappes.

Pourquoi cela soulève autant de critiques ?

  • Risque de bavures et de morts civiles – des pêcheurs colombiens ont déjà été tués. Des ONG parlent d’exécutions extrajudiciaires.
  • Aucun contrôle démocratique sérieux –  le Congrès n’a pas été consulté, seulement « notifié ». Même des élus républicains trouvent que Trump a franchi une ligne rouge.
  • Mise sous pression du Venezuela –  tous les analystes voient que l’opération a aussi un objectif stratégique : affaiblir Nicols Maduro, tester ses réactions, préparer éventuellement une opération plus large.
  • Déstabilisation de la région – la Caraïbe est déjà sous tension sur : les migrations, les trafics, les disputes maritimes, les alliances militaires. Ces frappes ajoutent un risque de militarisation durable.

Donc, de quel droit ?

  • Du point de vue juridique international : aucun droit clair.
  • Du point de vue américain : le droit qu’ils s’octroient eux-mêmes.
  • Du point de vue géopolitique : le droit du plus fort.

C’est dur à dire, mais c’est la réalité. Les États-Unis agissent parce qu’ils le peuvent, pas parce qu’un texte international leur en donne le mandat.