Flashback Caraïbe : Jasmina Legros, une ingénieure chimiste pleine d’inventivité

Transformer des déchets verts en produits naturels de qualité, tel est le défi que s’est lancée Jasmina Legros, une Guadeloupéenne âgée de 28 ans, depuis quelques années. Encouragée par ses multiples succès, forte du soutien de son entourage, la jeune Sainte-Annaise a fait fi de toutes les difficultés pour créer ses deux entreprises et lancer sa marque de cosmétiques Just What U Need (JWUN) en août 2014, en Guadeloupe.

Jasmina Legros : En mars 2013, j’ai créé en Guadeloupe une première entreprise, Sica (Société d’intérêt collectif agricole) Rys Prod, avec comme associé mon père qui est ingénieur agronome et des structures oeuvrant pour la valorisation des déchets verts guadeloupéens : l’association Verte Vallée qui s’occupe du Domaine de la Grivelière, l’association des frères Dragin pour la carapate). Notre objectif est de créer des produits à partir de ces déchets, pour la cosmétique, mais également d’autres filières, tel que l’agroalimentaire, l’horticulture. Nous allons bientôt intégrer dans la Sica des petits producteurs de jus ou autres, des agriculteurs, dont je récupérerai aussi les déchets verts. 

Mylène Colmar : Vous êtes doublement chef d’entreprise. Pour quelle raison ?  

J.L. : Rys Design, la seconde entreprise que j’ai lancée en 2014, est dédiée à la recherche et développement de cosmétiques innovants. Elle me permet de commercialiser JWUN, une gamme de trois produits que j’ai élaborés en transformant des déchets verts d’ici (bois de cocotier, la carapate, le marc de café) en ingrédients à forte valeur ajoutée. Je propose aussi des prestations réglementaires et la création de marques blanches, c’est-à-dire de produits sur-mesure, sans marque, à commercialiser soi-même.  

M.C. : Vos entreprises sont donc complémentaires ?  

J.L. : Effectivement, les deux travaillent en parrallèle, parce que j’ai développé un concept permettant qu’elles fonctionnent ensemble : la création de produits, la commercialisation et le marketing par Rys Design, les tests réglementaires et la production par Sica Rys Prod. 

M.C. : Vos produits sont guadeloupéens, mais votre laboratoire se trouve à Laval, dans l’hexagone. Pourquoi ?   

J.L. : Après avoir obtenu mon diplôme d’ingénieure chimiste de l’Ecole Nationale Supérieur de Chimie de Mulhouse, en 2011. L’année suivante, j’ai fait un master de recherche en formulation cosmétique, pour lequel je devais effectuer un stage. J’ai décidé de le consacrer à mon projet d’entreprise. C’est là que tout a démarré : j’ai travaillé sur des prototypes à partir des déchets verts de la Guadeloupe, j’ai soutenu ma thèse avec les résultats que j’ai obtenus, avec succès. J’ai aussi participé au Concours national Idénergie, j’ai été lauréate et j’ai intégré l’incubateur – qui est comme une pépinière d’entreprises – à Laval, en novembre 2012. Je suis donc sous contrat pour une durée de trois ans, jusqu’à fin 2015. 

M.C. : Dès vos débuts, vous avez été distinguée à plusieurs reprises, mais cela a aussi donné lieu à quelques difficultés.  Racontez-nous. 

J.L. : J’ai été lauréate en 2013 du concours OSEO – devenu BpiFrance – pour la création d’entreprise innovante, catégorie projet émergent. Pour ce faire, je devais installer le siège de mon entreprise en Mayenne, département où se trouvait l’incubateur. La même année, j’ai remporté l’appel à projet d’agro-transformation de Guadeloupe Expansion, l’agence de développement économique de la Guadeloupe, qui impliquait que le siège de l’entreprise soit ici. Après négociations et réflexions sur la stratégie à adopter, j’ai décidé de créer deux entreprises, l’une en Guadeloupe, l’autre à Laval. 

 

M.C. : Quelles autres difficultés avez-vous rencontré ? 

J.L. : La plus grande difficulté est la solitude quand on entreprend. J’ai dû partir pour étudier à Mulhouse, une ville où j’avais mon école, un cercle d’amis. Cependant, pour rejoindre l’incubateur, j’ai été obligée de déménager à Laval et il m’a fallu huit mois pour trouver les outils et les locaux pour démarrer le projet concrètement. Ma famille, mon réseau, mes amis sont en Guadeloupe, ma marque y est très bien acceptée. J’espère pouvoir développer mon activité dans mon île comme il se doit. 

M.C. : Et côté financement ? 

J.L. : Le financement est aussi une problématique. Néanmoins, comme je suis une personne manuelle, je fais beaucoup de choses moi-même, le manque de moyens ne m’a jamais effrayé, au contraire c’est une source de créativité. Pour limiter les coûts, je fais appel à ma famille, mes amis. 

M.C. : Comment fonctionnez-vous pour communiquer sur vos produits, les commercialiser ? 

J.L. : Concernant la communication, je suis en train de créer un réseau local d’ambassadeurs qui vont promouvoir les produits tant en France que dans les DOM. En terme de distributeurs, je travaille déjà avec cinq professionnels beauté/santé (esthéticiens, masseurs, linésithérapeutes, osthéopathes) ici et j’ai un distributeur à part entière sur Marie-Galante, le concept store La Suite. Mon but est de tisser des partenariats avec des gens qui se sentent proches de la marque. 

M.C. : Quels sont vos objectifs pour les mois à venir ?  

J.L. : Je souhaite rapidement m’implanter en Martinique, en trouvant notamment des ditributeurs, des points de vente, sur place. De manière générale, je dois répondre à la demande croissante des clients et développer de nouveaux produits pour faire évoluer JWUN et ouvrir d’autres filières comme l’agroalimentaire. Début 2016, je souhaite lancer de nouvelles huiles végétales, avec des ingrédients différents, pour enrichir la gamme JWUN.  

Deux ans de recherche pour développer son concept

« J’ai toujours voulu travailler avec les produits de chez moi, car je trouvais inconcevable qu’en Guadeloupe où il existe une foule de ressources naturelles, personne n’ait encore trouvé le moyen de valoriser davantage nos richesses », raconte Jasmina Legros. 

Dans le cadre de son master, la jeune femme décide donc d’étudier l’environnement guadeloupéen, puis de travailler sur les déchets verts : « Ce que l’on a en quantité ici, c’est ce que les gens jettent ». Et d’ajouter : « J’ai choisi cinq ingrédients, j’ai fait des tests et c’est le marc de café qui a donné les résultats les plus intéressants, en termes de toucher, d’odeur, de texture. C’était aussi un choix stratégique en gamme de lancement pour la marque. Puis, j’ai voulu rester cohérente, j’ai donc choisi d’autres ingrédients à valoriser, comme la carapate ». Jasmina Legros a aussi élaboré un packaging suivant le même principe, à partir de bois de cocotier, de verre ménager et de carton recyclés. 

Article paru dans le magazine Artisanat Guadeloupe, numéro 2 sorti en août 2014.

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