La Grande Caraïbe est une région traversée par des lignes de fracture géopolitiques héritées de l’époque coloniale. Plusieurs litiges frontaliers opposent encore aujourd’hui des États caribéens, entre contestations territoriales, enjeux maritimes et ressources naturelles.
Trois conflits retiennent particulièrement l’attention par leur ampleur, leur ancienneté et leur impact potentiel :
- entre le Venezuela et le Guyana autour de l’Essequibo
- entre la Colombie et le Nicaragua pour le contrôle d’îles et d’eaux marines stratégiques
- entre le Guatemala et le Belize, toujours disputé plus d’un siècle après son indépendance.
Décryptage.
Venezuela vs Guyana : l’ombre de l’Essequibo
Depuis des décennies, le Venezuela revendique environ 70 % du territoire guyanais, soit près de 160 000 km², à l’ouest du fleuve Essequibo.
Ce litige territorial est l’un des plus anciens et des plus sensibles de la région.
Il prend racine dans un arbitrage international de 1899, conclu entre l’Empire britannique et le Venezuela. Ce dernier n’a jamais accepté la validité de la décision, la jugeant entachée de partialité.
Si le différend a longtemps été contenu par la diplomatie, il a ressurgi avec force dans les années 2010, lorsque de riches gisements de pétrole offshore ont été découverts dans la zone maritime attenante au territoire contesté. Depuis, le gouvernement vénézuélien multiplie les déclarations de souveraineté, suscitant l’inquiétude au Guyana, soutenu par des partenaires internationaux comme les États-Unis.
Face à la montée des tensions, le litige a été porté devant la Cour internationale de Justice (CIJ). L’issue judiciaire reste incertaine, mais le climat politique reste tendu, avec des risques de déstabilisation dans une région déjà fragile.
Colombie vs Nicaragua : bataille en mer des Caraïbes
Le second conflit oppose la Colombie au Nicaragua au sujet de la souveraineté sur l’archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, ainsi que sur une vaste étendue maritime dans la Caraïbe occidentale.
En 2012, la CIJ a tranché : les îles restent colombiennes, mais plusieurs milliers de kilomètres carrés d’eaux marines ont été attribués au Nicaragua.
Ces eaux sont d’une grande valeur stratégique, riches en poissons et potentiellement en hydrocarbures. Malgré l’arrêt, la Colombie a émis des réserves sur son application et les zones de pêche continuent d’être un point de friction majeur entre les deux pays.
Depuis, des incidents réguliers entre marines nationales et pêcheurs, ainsi qu’une rhétorique politique musclée, entretiennent un climat tendu. Ce litige illustre bien comment les frontières maritimes, souvent floues ou contestées, deviennent les nouveaux champs de bataille diplomatiques dans la région.
Guatemala vs Belize : une vieille revendication coloniale
Dernier conflit examiné ici, celui qui oppose le Guatemala au Belize semble moins connu, mais il est tout aussi significatif.
Le Guatemala n’a jamais pleinement reconnu l’indépendance de son voisin, proclamée en 1981, et revendique toujours jusqu’à la moitié de son territoire.
Cette revendication remonte à un traité anglo-guatémaltèque de 1859, dont les interprétations divergent radicalement. Pour le Guatemala, le Royaume-Uni n’a pas respecté ses obligations, ce qui rend le traité caduc.
En 2019, un tournant s’est produit : les deux pays ont accepté de soumettre le différend à la CIJ. Le jugement est attendu, mais sur le terrain, la présence militaire guatémaltèque reste renforcée dans les zones proches de la frontière, provoquant parfois des incidents.
Si le conflit est gelé militairement, il reste actif dans les discours nationalistes et dans les relations bilatérales.
Ces trois conflits montrent à quel point les héritages coloniaux, les ressources naturelles et les ambitions nationales nourrissent encore les tensions dans la Grande Caraïbe. Au-delà des juridictions internationales, c’est aussi la capacité de dialogue, de coopération régionale et de respect du droit international qui permettra d’éviter que ces litiges ne se transforment en crises ouvertes.
La stabilité géopolitique de la région est un enjeu majeur pour son développement économique, social et environnemental.