En ce début 2025, trois dossiers concernant les relations entre la Grande Caraïbe et les États-Unis retiennent particulièrement l’attention. Tous illustrent la manière dont Washington continue d’influencer ce qui se joue dans cet espace stratégique. Focus sur le canal de Panama, le Venezuela et les médecins cubains qui démontrent à quel point la Grande Caraïbe reste un carrefour d’intérêts géopolitiques majeurs, avec des enjeux qui dépassent largement ses frontières.
Panama : le canal, un enjeu géopolitique et économique majeur
Le canal du Panama reste un pivot des échanges commerciaux mondiaux. Près de 6 % du commerce maritime international y transite chaque année. Inauguré en 1914 et contrôlé par les États-Unis jusqu’en 1999, le canal est désormais sous l’autorité de l’État panaméen via l’Autoridad del Canal de Panamá.
Cependant, les États-Unis s’inquiètent de l’influence croissante de la Chine. Cette dernière a investi dans plusieurs ports autour du canal et dans des projets logistiques au Panama. En février 2025, Donald Trump a déclaré vouloir « reprendre le contrôle stratégique » du canal, suscitant un tollé à Panama City.
Et pourtant, la nouvelle est tombée il y a quelques semaines. « Un consortium emmené par l’américain BlackRock, le plus gros gestionnaire d’actifs privés du monde (avec un portefeuille de 11 500 milliards de dollars en 2024) va acquérir deux des principaux ports du canal stratégique qui relie les océans Atlantique et Pacifique à la société hongkongaise CK Hutchison. » – Le Figaro
J’avais relayé cette nouvelle, mais il y a eu un très récent rebondissement.
« En pleine montée des tensions commerciales, la Chine a décidé de bloquer la vente de deux ports panaméens au consortium américain BlackRock le 28 mars. Pourtant, le président du Panama, José Raúl Mulino, se montre optimiste, à quelques jours de sa rencontre avec Pete Hegseth, le ministre de la Défense américain. » – Courrier International
Que va-t-il se passer ? A l’heure actuelle, l’incertitude est plus que jamais de mise. C’est un dossier à vraiment suivre, vu l’importance du canal du Panama pour la région, mais plus largement pour le monde.
A noter qu’une autre menace pèse sur le canal : la crise climatique. En 2023 et 2024, des sécheresses prolongées ont obligé les autorités à réduire drastiquement le nombre de passages quotidiens (de 36 à parfois 20 navires). Résultat : des files d’attente, une hausse des coûts logistiques, et un impact global sur la chaîne d’approvisionnement.
Quelques chiffres clés
• Longueur du canal : 82 km
• Trafic annuel (2022) : 14 000 navires
• Revenus (2023) : 4,3 milliards de dollars, soit 4 milliards d’euros.
Vénézuela : entre sanctions américaines et recomposition régionale
Le Vénézuela est au cœur de la géopolitique caribéenne. Riche en pétrole (les plus grandes réserves mondiales prouvées), le pays vit une crise économique et humanitaire profonde depuis plus d’une décennie, alimentée par une mauvaise gouvernance, des sanctions internationales, et l’hyperinflation.
Cependant, l’actualité chaude est que l’armée vénézuélienne a annoncé avoir relevé son niveau d’alerte après avoir découvert ce qu’elle qualifie de complot américain visant à orchestrer un incident sur une plateforme offshore d’ExxonMobil, située dans les eaux contestées entre le Venezuela et le Guyana. Selon les autorités vénézuéliennes, ce prétendu plan aurait pour objectif de créer un prétexte pour déclencher un conflit armé dans la région.
« Le 27 mars, lors d’une visite à Georgetown, le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio avait averti qu’il y aurait des ‘conséquences’ si le Venezuela attaquait le Guyana, qui a récemment dénoncé l’incursion d’un navire militaire vénézuélien. » – Ouest-France
A noter que la crise migratoire vénézuélienne – avec plus de 7 millions de personnes déplacées – déstabilise plusieurs États caribéens et latino-américains.
Quelques chiffres clés
• Réserves pétrolières du Vénézuela : 303 milliards de barils
• Inflation (2023) : +189 %
• Diaspora : 7,7 millions de Vénézuéliens hors du pays
• PIB/habitant (2023) : 1 540 USD, soit 1400€.
Cuba : Les médecins cubains, sources de tensions diplomatiques
Depuis les années 1960, Cuba déploie ses brigades médicales dans le monde entier. Ce soft power sanitaire est une source de revenus (via des accords bilatéraux), mais aussi un instrument diplomatique. En 2023, près de 23 000 professionnels de santé cubains travaillaient dans 56 pays.
« Cuba compte plus de 26 000 médecins et infirmières travaillant dans 55 pays “tandis que le régime cubain empoche plus de 4,9 milliards de dollars par an”, a récemment déclaré le Bureau des affaires de l’hémisphère occidental du Département d’État. » – Miami Herald
Ainsi, les États-Unis critiquent vivement ce programme, qualifiant ces missions de « trafic d’êtres humains », pointant du doigt la part importante du salaire des médecins reversée à l’État cubain.
« Miguel Diaz-Canel, le Président de Cuba a réagi sur les réseaux sociaux. Il a condamné l’attaque contre les services médicaux de son pays. » – Martinique la 1ère
Néanmoins, plusieurs pays caribéens – comme la Jamaïque, Sainte-Lucie ou encore Haïti – continuent toutefois de solliciter cette aide, surtout dans des contextes de pénurie médicale grave. Le paradoxe est frappant : alors que des hôpitaux de la Caraïbe francophone ou anglophone manquent de personnel, l’embargo américain rend toute coopération médicale avec Cuba plus complexe, voire risquée.
Et pourtant, les Caribéens sont bien décidés à ne pas se laisser faire par les Etats-Unis. « ‘Soyons clairs, les 400 médecins cubains en Jamaïque nous ont été incroyablement utiles. Nous veillons à ce qu’ils soient traités conformément à notre législation du travail et qu’ils bénéficient des mêmes avantages que tout autre travailleur’, a martelé le Premier ministre jamaïcain Andrew Holness, lors d’une conférence de presse conjointe avec Marco Rubio, rapportent The Jamaica Observer et The Jamaica Gleaner. » – Radio France
« La région compte faire front commun face aux autorités étasuniennes. Une délégation de la CARICOM, dont les 15 membres permanents bénéficient du programme de coopération médicale avec Cuba, va demander un arrangement concernant les sanctions annoncées par les Américains. » – Martinique la 1ère
Quelques chiffres clés
• 600 000 professionnels envoyés dans 165 pays depuis 1960 par Cuba
• 1ère source de devises pour Cuba avant le tourisme
• Salaire moyen d’un médecin cubain à l’étranger : 1 000 à 3 000 USD (915 à 2700 euros) /mois (dont 75 % récupérés par l’État).