Après le Québec, j’ai traversé l’Atlantique, direction l’Afrique, la Somalie, dès le lendemain.
Autre conférence, autre monde. « La Somalie, une société africaine sans Etat ? », tel était le sujet de l’intervention de Daniel Compagnon, professeur de science politique à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Bordeaux, qui fut un temps professeur à l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG).
De la Somalie, je ne connaissais rien, si ce n’est le peu que j’avais retenu de ces terribles reportages sur les famines, les conflits qui ont touché ce pays. Voilà pourquoi j’avais d’autant plus hâte d’écouter Daniel Compagnon qui a séjourné il y a quelques années là-bas et a ainsi pu rencontrer des « personnalités » locales. Eh bien, j’ai été « servie », tant ce dernier nous a livré une foule d’informations à la fois historiques et analytiques.
Qu’en ai-je retenu ?
En premier lieu, un sentiment général : la Somalie vit une « situation d’anarchie » depuis des années, qui risque de perdurer encore longtemps, vu la difficulté (pour ne pas dire impossibilité) à mettre en place un Etat.
« Il n’y a pas d’Etat, mais il y a un gouvernement reconnu internationalement », a expliqué Daniel Compagnon avant de préciser que ce gouvernement de Mogadiscio (la capitale) mis en place en septembre 2012 n’est pas en position de force, en dépit du soutien de l’Union africaine, puisqu’il ne gouverne pas grand chose, qu’une partie du territoire somalien, tout au plus.
Daniel Compagnon a aussi bien mis en avant combien la Somalie est « divisée », entre le territoire comprenant Mogadiscio, celui comprenant Kismayo, Somaliland (République secessionniste), Puntland (autonome). Mais en plus, sa société est caractérisée par « une situation en peau de léopard, complexe », du fait du lignage agnatique, qui ne permet aucune stabilité en terme d’alliance politique, selon Daniel Compagnon.
J’ai aussi retenu un nom : Mahamed Siyaad Barre, qui fut le président de la République démocratique somalienne de 1969 à 1991, année de sa destitution. Pour Daniel Compagnon, ce dernier a été le « fossoyeur de l’Etat » : « Le régime de Siyaad Barre a détruit l’Etat de l’intérieur ».
Et d’ajouter que Siyaad Barre a « manipulé les appartenances claniques », mais aussi a « massacré (des habitants) dans son coin » et « tout le monde s’en fichait », car c’était durant la guerre froide. Daniel Compagnon a néanmoins précisé qu’en Somalie « la guerre civile a commencé avant la chute du régime de Siyaad Barre ».
Daniel Compagnon a particulièrement évoqué les interventions extérieures. Les Ethiopiens sont intervenus militairement en 2006 en Somalie parce qu’y était apparue une opposition venant d’organisations islamistes (Union des tribunaux islamistes) qui voulait prendre le contrôle politique. C’est cette intervention qui aurait entraîné la création d’un groupe islamiste plus radical, Al-Shabab. Les Kenyans sont aussi intervenus dans le Sud en 2011 pour contrer le projet d’Al-Shabab d’étendre la domination islamiste dans toute la région.
Ce qui m’a le plus interpelé est le « rôle » joué par les Occidentaux dans la dégradation de la situation en Somalie. « Tout ce qui a été fait en terme d’intervention a plutôt été néfaste » a souligné Daniel Compagnon qui a notamment pointé du doigt l’United Task Force (UNITAF), la force militaire internationale sous le commandement des Etats-Unis qui a compté jusqu’à 37 000 hommes venant d’une vingtaine de nations au pic du déploiement et qui a été cantonnée à un rôle humanitaire, alors qu’à une période donnée, elle aurait pu être chargée de désarmer les factions locales.
Autre intervention critiquée par Daniel Compagnon : l’Opération des Nations Unies en Somalie (ONUSOM) qui aurait ainsi « accumulé les erreurs », notamment en prenant le parti de Ali Mahdi, président auto-proclamé, en initiant un processus de réconciliation politique qui a débouché sur la multiplication par 8 des factions somaliennes ( de 3 en 1991 à 24 en 1994).
Bien sûr, je ne peux rapporter tout ce qui s’est dit dans cette conférence qui était d’une grande richesse et qui m’a laissé avec beaucoup d’interrogations sur la Somalie, sur les solutions pour ce pays. Pour finir, ce billet en deux volets, je ne pouvais ne pas citer cette réflexion de Daniel Compagnon à propos du développement des actes de piraterie maritime au large de la Somalie :
« Au final, les pirates sont des entrepreneurs qui se sont dits qu’au lieu de pêcher des poissons qu’ils ne peuvent vendre à personne, ils allaient pêcher des bateaux. »
Billet publié en 2013 sur mon précédent blog.