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Mémento Agreste 2024 de la Guadeloupe : une agriculture sous tension
Publié récemment par Agreste – Service statistique du ministère de l’Agriculture, le Mémento 2024 – Édition 2025 https://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/memento-2024-de-la-statistique-agricole-edition-2025-a2194.html dresse un état des lieux précis de l’agriculture, de l’alimentation, de la forêt et des industries agroalimentaires en Guadeloupe.
Derrière les tableaux et les graphiques, une réalité ressort clairement : le modèle agricole guadeloupéen est sous tension, entre recul des surfaces, dépendance aux importations et fragilisation de certaines filières historiques, malgré des signaux positifs sur la diversification et le bio.
Une agriculture qui pèse peu dans l’emploi mais structure le territoire
En 2023, seuls 3 % des salariés guadeloupéens travaillent dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche, loin derrière le tertiaire qui concentre 81 % des emplois.
Pourtant, l’agriculture reste un pilier de l’occupation du territoire : plus de 46 000 hectares sont encore consacrés à des usages agricoles, auxquels s’ajoutent près de 80 000 hectares de surfaces boisées.
Cependant, la tendance est claire : la surface agricole utilisée (SAU) des exploitations recule. En un an, elle diminue de 2 %, confirmant une érosion de long terme engagée depuis plusieurs décennies.
Moins d’exploitations, une concentration progressive
Le nombre d’exploitations agricoles continue de baisser. En 2020, la Guadeloupe comptait 7 254 exploitations, contre près de 16 000 en 1989. Cette chute ne s’accompagne pas d’un agrandissement massif : la SAU moyenne reste faible, autour de 4 hectares par exploitation.
Les exploitations de grandes cultures (notamment la canne) et de polyculture-élevage reculent fortement, tandis que certaines productions fruitières et maraîchères résistent mieux.
La main-d’œuvre agricole, elle aussi, s’érode : –21 % d’actifs permanents entre 2010 et 2020, avec une chute marquée de la main-d’œuvre familiale.
Canne, sucre et rhum : une année 2024 très difficile
C’est l’un des constats les plus marquants du document. En 2024, la filière canne-sucre-rhum subit un choc sévère :
- –25 % de cannes broyées
- –46 % de sucre produit
- –31 % de production de rhum
- Baisse significative de la richesse saccharine
Ces chiffres traduisent à la fois des conditions climatiques défavorables, des contraintes structurelles anciennes et une fragilité économique persistante de la filière, malgré des soutiens publics massifs.
Banane : stabilité globale, mais fragilité du bio
À l’inverse, la banane affiche une stabilité de la production globale, avec même une légère hausse des exportations en 2024. Toutefois, le détail est révélateur : la banane biologique recule fortement en surfaces et en nombre de producteurs, même si les volumes produits progressent légèrement.
Autrement dit : moins d’acteurs, mais des exploitations plus intensives, ce qui pose la question de la durabilité du modèle bio local.
Productions végétales : recul des volumes, sauf exceptions
Les légumes et tubercules connaissent une baisse globale de production (–6 %), tirée par :
- la chute des tomates,
- le recul des tubercules,
- des rendements inégaux selon les cultures.
Quelques cultures progressent néanmoins, comme la banane plantain ou certains légumes (concombre, salade).
Côté fruits, la production locale est globalement stable, mais ne suffit toujours pas à couvrir la demande.
Élevage : stagnation et dépendance accrue
Les cheptels bovin et porcin reculent légèrement, tandis que la volaille se maintient grâce aux poulets de chair. Résultat direct : la consommation de viande repose de plus en plus sur les importations, notamment pour le porc et le bœuf.
En 2024 :
- la production locale porcine baisse,
- les importations augmentent,
- la consommation apparente progresse.
Le déséquilibre entre production locale et consommation s’aggrave.
Prix alimentaires : une pression durable sur les consommateurs
Le memento confirme ce que chacun constate sur les étals. En 2024, de nombreux produits locaux voient leurs prix augmenter, parfois fortement :
- +22 % pour le maracudja,
- +15 % pour l’igname,
- +12 % pour la tomate.
Même les produits animaux affichent des hausses notables en grande distribution, notamment pour le bœuf. La volatilité des prix devient structurelle, alimentée par la baisse de l’offre locale et le coût des importations.
Agriculture biologique : une dynamique réelle mais fragile
Bonne nouvelle malgré tout : les surfaces engagées en agriculture biologique progressent encore en 2024 (+3 %). Le nombre de producteurs certifiés augmente, tout comme certaines productions fruitières et l’apiculture.
Néanmoins, cette dynamique reste très hétérogène selon les territoires et masque des reculs importants sur les légumes bio. Le bio progresse, mais sans changement d’échelle décisif.
Un secteur sous perfusion d’aides publiques
Dernier enseignement clé : le poids massif des aides publiques. Plusieurs dizaines de millions d’euros sont injectées chaque année dans l’agriculture guadeloupéenne. Ces soutiens permettent de maintenir l’activité, mais posent une question centrale : jusqu’à quand un modèle aussi dépendant pourra-t-il tenir sans transformation profonde ?
Le Mémento Agreste 2024 ne raconte pas une agriculture à l’agonie, mais une agriculture sous contrainte permanente, coincée entre héritages historiques, chocs climatiques, dépendance alimentaire et attentes sociétales fortes.
La question n’est plus de savoir s’il faut changer de modèle, mais à quelle vitesse et avec quels choix politiques clairs.



