Dans l’imaginaire collectif, les créoles de la Grande Caraïbe sont principalement associés au français, à l’anglais, parfois à l’espagnol. Pourtant, il a existé un créole à base néerlandaise dans la région : le Negerhollands, aujourd’hui éteint mais porteur d’une histoire fascinante.
Parlé aux Îles Vierges danoises (aujourd’hui américaines), ce créole est un exemple des contacts linguistiques nés de la colonisation, de la traite esclavagiste et des dynamiques sociales caribéennes.
Une langue née de la colonisation danoise
Le Negerhollands a vu le jour aux XVIIe et XVIIIe siècles, sur les îles de Saint-Thomas, Saint-Jean et Sainte-Croix, alors sous domination danoise. Ironiquement, bien que la langue officielle de l’administration fût le danois, la langue véhiculaire des colons et commerçants était souvent le néerlandais, en raison de la forte présence de Néerlandais et de Juifs sépharades venant des colonies hollandaises.
Les esclaves, arrachés à l’Afrique et parlant des langues diverses, ont donc développé un créole à base néerlandaise pour communiquer entre eux et avec leurs maîtres. C’est ainsi que naquit le Negerhollands — littéralement “hollandais des Noirs”.
Le Negerhollands est l’un des rares créoles caribéens à avoir été enseigné et codifié par des missionnaires dès le XVIIIe siècle. Leur volonté de convertir les esclaves les a poussés à apprendre, écrire et traduire la langue pour diffuser la Bible.
Caractéristiques linguistiques
Le Negerhollands était un créole à base lexicale néerlandaise, mais il présentait aussi des emprunts au danois, à l’allemand, au portugais, à l’anglais et à plusieurs langues africaines. Il possédait sa propre grammaire, simplifiée par rapport au néerlandais, avec une syntaxe influencée par les langues africaines.
Quelques exemples :
- Mi no sabi = Je ne sais pas
- Mi lo bi dere = Je vais là-bas
- Di man de go = L’homme est parti
Des textes religieux, comme des catéchismes et des traductions de la Bible, ont été rédigés en Negerhollands, principalement par les missionnaires moraves, très actifs dans les îles.
Un lent déclin jusqu’à l’extinction
Le Negerhollands a connu un lent déclin à partir du XIXe siècle, notamment après l’abolition de l’esclavage en 1848 et l’arrivée massive de locuteurs anglophones. L’anglais s’est progressivement imposé comme la langue dominante dans les îles, particulièrement après leur cession aux États-Unis en 1917.
La dernière locutrice connue, Alice Stevenson, est décédée en 1987. Avec elle, c’est une langue qui s’est tue — mais pas sans laisser de traces.
Un patrimoine à redécouvrir
Aujourd’hui, le Negerhollands est étudié par quelques linguistes et historiens, car il constitue une source précieuse pour comprendre la formation des créoles et la vie sociale dans les colonies danoises. Des archives sonores et écrites existent.