Comme promis, je vous livre le texte de la présentation que j’ai faite lors du forum organisé dans le cadre de la rencontre internationale, à laquelle je participe en ce moment.
En effet, comme je l’ai précisé dans un précédent billet, je fais partie des participants invités par les associations TAMAT (Italie), CforC (Madagascar) et D’Antilles et D’ailleurs (Martinique) en Italie, pour partager informations et réflexions sur le développement, le tourisme responsable et l’entreprenariat féminin.
Le forum s’est tenu tout au long de la journée de samedi dernier, avec des intervenants très intéressants. J’avais 20 minutes pour parler des « entrepreneures de la Grande Caraïbe : challenges et perspectives ».
Je dois vous avouer que j’avais une forte pression, car c’est très important pour moi de bien parler de notre région à l’étranger, les opportunités n’étant pas si nombreuses que cela. Comme je le dis souvent : si tu as l’occasion de parler de la Grande Caraïbe dans un événement international, fais-le bien, afin que les participants gardent au moins le « souvenir » que notre région n’est pas que soleil et plages, qu’il y aussi des personnes dynamiques, en action.
Trêve d’introduction. Voici le texte que j’ai prononcé en anglais, à quelques apartés près.
Parler des entrepreneures, des boss ladies de la Grande Caraïbe… Je n’ai que quelques minutes, mais je vais essayer de relever le challenge.
Il y a beaucoup à dire parce que la Caraïbe est une région très diversifiée, avec des grands pays comme Cuba, la Jamaïque, le Venezuela, Haïti, République dominicaine et des petites îles comme la Guadeloupe, la Martinique ou la Dominique, Trinidad.
Dans ma région, en fonction des territoires, on parle anglais, français, espagnol, néerlandais, différents créoles. Nous avons des cultures différentes, mais une histoire commune fondée sur la colonisation, l’esclavage, notamment.
Dans ma région, certains territoires sont plus riches, plus développés que d’autres. Par exemple, vous savez qu’Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde. Le Venezuela traverse une grave crise économique… La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin et Saint -Barthélemy font partie des plus développés.
LES BOSS LADIES
Je devais poser ce contexte, pour que vous compreniez pourquoi il est difficile de parler de manière globale des femmes entrepreneures dans la Grande Caraïbe. En fonction des territoires, les boss ladies font face à plus ou moins de difficultés.
Cependant, une chose est sûre. Dans toute la Grande Caraïbe, elles sont fort nombreuses à être à la tête d’entreprises.
4 raisons principales :
- Le chômage est très élevé dans la Caraïbe. En Guadeloupe, 22 % de personnes sont sans emploi. Les jeunes et les femmes sont les plus touchés. Créer son entreprise est une bonne manière de créer son emploi.
- Les femmes ont une culture de l’entreprenariat parce que même dans les générations précédentes, il y avait des entrepreneures. Cependant, le pan informel était très important. Vendre des bijoux de porte à porte, préparer des repas et les vendre au voisinage… Beaucoup de femmes jouaient (jouent encore) un rôle important au sein de l’entreprise dirigée par leur mari.
- Beaucoup d’institutions/associations locales, régionales, d’organisations internationales encouragent l’entreprenariat féminin. Il y a de plus en plus de programmes pour informer les femmes, les aider financièrement et leur apporter du soutien.
- Le développement du numérique a permis que les femmes soient plus informées, parce qu’elles ont plus accès à l’information. Les entrepreneures peuvent se connaître, parler entre elles, partager leurs expériences, se donner des conseils. Des plateformes caribéennes comme Secret Birds Caribbean, Dofen news permettent cela.
Les femmes constituent un vrai potentiel pour la Grande Caraïbe, parce qu’elles sont une force de travail, elles ont des idées et une grande volonté.
LES DIFFICULTES
Il y a une réelle dynamique, mais les femmes entrepreneures dans la Grande Caraïbe font face à de multiples difficultés.
– le manque d’informations et de soutien
Quand tu veux créer, la première chose dont tu as besoin, ce n’est pas forcément de l’argent mais des informations ! Si tu n’as pas les bonnes informations, tu peux faire des erreurs.
Dans ma région, dans des pays comme Cuba, Internet est encore en développement. Difficile de se renseigner via ce moyen.
Ce n’est pas facile – par exemple – en Haïti, les administrations ne fonctionnent pas bien, l’information circule mal. Voilà pourquoi la Chambre de Commerce des Femmes Entrepreneures d’Haïti, dirigée par une femme de talent Daniella Jacques, organisé beaucoup d’événements pour informer les femmes qui veulent créer leur entreprise ou qui l’ont déjà créée9 mais ne savent pas comment faire pour la développer.
– le manque d’argent
Quand tu es entrepreneure, tu as besoin d’argent pour investir dans ton entreprise. Tu as un projet auquel tu crois, tu as forcément besoin de financement au départ. Or, les banques sont frileuses dans notre région, il n’y a pas beaucoup de business angels, et pour obtenir des aides de l’Etat ou d’autres institutions, c’est le parcours du combattant !
Petite anecdote : Axelle Kaulanjan a eu un rendez-vous à la banque il y a quelques années, pour demander un prêt pour développer son entreprise. On lui a demandé si c’était bien elle qui créait l’entreprise, si ses parents étaient au courant !
Heureusement, un vrai travail est fait par de nombreux acteurs pour améliorer tout cela. Ce n’est pas facile, mais cela avance.
– la culpabilité vis à vis du couple, de la famille
Jessica Brudey a une startup nommée Foodîles qui permet de découvrir des restaurants en Guadeloupe, via une application et un site web. Ses journées sont bien remplies. Elle a en plus deux jeunes enfants. Eh bien, elle ne passe pas autant de temps qu’elle le voudrait sans doute avec eux, parce qu’elle est seule pour faire fonctionner son entreprise. Elle doit toujours composer… Heureusement, le père des enfants est à ses côtés.
Cependant, il y a beaucoup de familles monoparentales dans la Grande Caraïbe. Les femmes seules doivent pour autant tout gérer : les enfants, les courses ET leur entreprise, autrement dit beaucoup de responsabilités, de stress.
– le regard, la pression de la société
Les femmes entrepreneures ne sont pas toujours valorisées. Leur famille, leurs amis ne comprennent pas toujours, ne les soutiennent pas. A combien de femmes, leur mère, leur père, leur ont proposé d’abandonner leur entreprise pour prendre plutôt un emploi et avoir un salaire chaque mois ! Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Partout où je suis allée, j’ai eu de tels témoignages !
– les préjugés et les discriminations
La société caribéenne a encore de nombreux préjugés sur les femmes. Beaucoup de gens pensent encore que la femme doit rester à la maison, s’occuper des enfants, du mari, faire le ménage.
Des personnes pensent encore que les femmes ont moins de capacités, de compétences que les hommes. Elles croient qu’elles n’ont pas la force suffisante pour créer et diriger des entreprises. Elles disent qu’elles ne peuvent pas travailler dans des secteurs perçus comme masculins : la construction, la mécanique, le monde de la nuit, l’agriculture, l’informatique, par exemple.
Les femmes entrepreneures qui sont dans ces domaines sont des exemples qu’il faut mettre en lumière sur le web, dans les médias, pour montrer que les femmes sont aussi capables que les hommes, prouver aux nouvelles générations qu’elles aussi elles peuvent le faire !
– le manque de respect, les attitudes sexistes, le harcèlement
Une femme chef d’entreprise est généralement sur ses gardes… Beaucoup de femmes font attention à ce qu’elles portent. Il est rare qu’une entrepreneure n’ait pas une histoire à raconter sur des attitudes sexistes. J’en connais qui ont été harcelées. D’autres à qui ont été faites des propositions très douteuses. Soyons clair : le sexe en échange d’argent. Nous devons lutter contre tout cela tous les jours, en dénonçant ces attitudes.
– les violences physiques
- Tu vas à un rendez-vous d’affaires pour rencontrer un potentiel client pour ton entreprise.
- Tu te retrouves seule avec lui parce que tu ne te méfiais pas.
- Tu es violée. Tu as honte. Tu ne dis rien.
Cela arrive également. C’est horrible ! Là aussi, nous devons libérer la parole.
Beaucoup de femmes ont des petites entreprises, travaillent seules. Elles se battent tous les jours.
LES PERSPECTIVES
Je l’ai déjà dit dans mon discours, mais je me dois de le répéter : les femmes entrepreneures dans ma région constituent un formidable potentiel. Oui, mais encore ? Elles sont déjà à l’oeuvre dans des domaines à développer pour notre région.
Le numérique : il y a des startupeuses de talent.
Je vous ai parlé de Jessica Brudey de Foodîles. Je veux vous parler de Rachel Lollia en Guadeloupe, une biologiste et ingénieure en communication, qui a lancé Pawoka, un projet e-santé qui met en lumière la richesse de la biodiversité caribéenne. Pawoka, c’est un site web, une application, un magazine.
L’information, les médias, les blogs
A Cuba, Yoani Sanchez, une journaliste, politologue, fait un énorme travail depuis des années. Elle a créé un site d’information 14ymedio. Ingrid Riley en Jamaïque anime tout l’écosystème du digital dans la Caraïbe avec sa plateforme Silicon Caribe.
L’agro-transformation
Il nous faut créer plus de produits à base de fruits, légumes locaux, parce que nous importons trop de nourriture, nous sommes dépendants de l’extérieur.
En Haïti, Corinne Joachim Sanon Symietz a créé Les Chocolateries Askanya qui sont la seule et unique entreprise de fabrication du chocolat, de la fève à la tablette dans ce pays.
Les cosmétiques
Un exemple : Jasmina Legros, en Guadeloupe. Une ingénieure-chimiste qui a créé sa propre marque de cosmétiques JWUN, avec des produits à base de déchets verts.0
Le tourisme
Il existe déjà beaucoup de belles entreprises créées et dirigées par des femmes pour mettre en valeur les sites, le patrimoine, la nourriture de notre région. Exemple : Lesly Ferraty possède une entreprise en Martinique, Beyond the beach, qui propose notamment aux touristes des activités avec les habitants.
D’autres domaines restent à développer comme le développement durable, la protection de l’environnement, parce que la biodiversité exceptionnelle de la Grande Caraïbe est vraiment en danger ! Nous avons besoin d’entreprises qui travaillent à des solutions pour nettoyer, sensibiliser et informer les populations.
Pour finir, parlons avenir, parlons des futures entrepreneures !
Nous comptons beaucoup sur elles.
Un vrai travail d’information envers elles, via des conférences, ateliers, entre autres, est nécessaire. Nous mettons en place des plateformes pour qu’elles puissent trouver les renseignements, mais aussi puissent contacter des entrepreneures expérimentées.
Nous travaillons fort pour lutter contre les préjugés, les discriminations, au sein des organisations, des entreprises privées.
Nous faisons en sorte qu’il y ait de plus en plus d’exemples comme ceux que j’ai cités, partout dans la Grande Caraïbe. Nous montrons au quotidien que nous pouvons le faire.
Comments
Intéressant! Dommage que certaines des réussites les plus emblématiques d’entrepreneuriat féminin ne soit pas mentionnées et que l’espace où les exemples sont relevés ne couvre qu’une petite partie de la Caraïbe insulaire. Une longue première partie est consacrée à l’explication des difficultés que rencontre l’entreprenariat féminin (les mêmes que pour les hommes, plus quelques autres…) mais dans les exemples de réussites relevés il aurait été intéressant de découvrir comment ces difficultés ont été surmontées!
Je suis très flattée que vous ayez pris le temps de lire et de commenter. Oui, effectivement, le texte présente des limites flagrantes, mais c’était volontaire compte-tenu du nombre de minutes que j’avais. Dans d’autres billets, je présente des exemples. Nous avons aussi créé une plateforme Objectif Boss Lady, grâce à laquelle nous aspirons à mettre en lumière des exemples et la manière donc ces boss ladies ont réussi. En résumé, oui, je publierai de nombreux billets de blog sur ce sujet dans les semaines à venir.