Pourquoi il est difficile d’ouvrir et de pérenniser un tiers-lieu en Guadeloupe

Je vous ai parlé de Foodîles le lab’ sur ce blog en trois billets pour le moment :

• Guadeloupe : 3 bonnes raisons de venir à Foodîles le lab’ 
• Comment Foodîles le lab’ est devenu le tiers-lieu food incontournable en Guadeloupe
• 5 best sellers à Foodîles le lab, tiers lieu en Guadeloupe

Cependant, je ne pouvais manquer de vous exposer les raisons pour lequelles, selon moi, ouvrir et surtout maintenir un tiers-lieu en Guadeloupe implique de relever de multiples défis. Bien sûr, je m’appuie sur mon expérience avec le lab’, mais aussi mes recherches.

L’argent, l’argent, l’argent…

Pour ouvrir un tiers-lieu, il faut un espace avec une surface suffisamment conséquente pour mettre en place les activités désirées, mais aussi accueillir de manière confortable les participants. Or, dès que vous visez une zone très fréquentée (Baie-Mahault, Abymes, Gosier), le loyer est de suite élevé et il faut montrer patte blanche, en versant notamment une caution. A cela s’ajoutent les charges incontournables : eau, électricité, assurance, internet haut débit, ménage, entretien divers et variés, taxes/impôts, caisse, expert-comptable, avocat, etc.

Ensuite, il faut un budget travaux et achats plus ou moins important. Gare aux mauvaises surprises, devis indispensables. Et bien sûr, il faut aussi payer les salaires et les marchandises, fournitures, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’ensemble.

Bien sûr, il existe des accompagnements. Beaucoup de porteurs de projets comptent sur des aides publiques (Europe, Région, Département, etc.). Cependant, les délais d’instruction des dossiers de financement et d’autorisation peuvent être longs. Je vous le confirme. Quant aux banques, hum hum…

Il faut disposer d’une bonne trésorerie et d’un cœur bien accroché pour tenir bon. Tous les tiers-lieux n’enregistrent pas une fréquentation assidue dès le départ. Loin de là ! Nous avons beau avoir une communauté engagée grâce au travail de Foodîles, nous avons dû développer la clientèle de Foodîles le lab’ au fil des mois. En attendant, les recettes n’étaient pas toujours au rendez-vous et il nous a donc fallu serrer les dents.

A noter que nous avons fait feu de tout bois et obtenu des appuis solides avec nos nouveaux associés : Jacqueline Cahcemire-Thôle et Yves Thôle, mais aussi Cigales. De plus, nous avons réussi une belle opération de crowdfunding. Il y a des Guadeloupéens qui ont compris et ont mis la main à la poche. Ce sont ces fonds qui nous ont permis de mettre en œuvre le projet du lab’ et de tenir bon dans les moments de tension de trésorerie.

La vision, la vision, la vision…

Quand tu écris le projet, tu as toujours une vision, des objectifs. C’est normal. Notre business plan était clair, nos ambitions aussi. Cependant, nous n’avions pas assez mesuré combien il faudrait composer avec un contexte socio-économique très difficile. Entre les grèves, les coupures d’eau, l’inflation et la morosité ambiante, il a été ardu d’atteindre rapidement les chiffres fixés. Il ne nous restait plus qu’à prendre notre mal en patience, sans baisser les bras.

Nous avons aussi amélioré, adapté notre modèle économique, en prenant en compte les retours des prestataires, partenaires, clients. Nous avons laissé de côté certains pans tel que l’événementiel et la création de contenus vidéo, pour en développer d’autres comme la restauration et la location. C’est cela l’entreprenariat : faire en sorte que l’entreprise perdure en prenant les décisions qui s’imposent.

Avec la mise en œuvre de Foodîles le lab’, j’ai noté qu’il était nécessaire d’expliquer notre vision, nos valeurs, et d’inviter les gens à venir voir pour qu’ils comprennent bien ce que nous voulions faire. Une fois sur place, les plus sceptiques sont souvent charmés par le lieu, les mets, mais plus encore l’ambiance, l’énergie. Ils se prennent au jeu de vouloir goûter, découvrir, acheter.

Le format du tiers-lieu en Guadeloupe reste encore méconnu. Nous avons mis en place un espace qui sort des cadres habituels (ce n’est ni vraiment un restaurant, ni un traiteur, ni un laboratoire, ni un espace événementiel, ni une boutique). Il suscite la curiosité. Il est normal que certaines réticences persistent. Cependant, le travail se fait. A mesure que les tiers-lieux se multiplieront en Guadeloupe, que des exemples pertinents et inspirants s’ancreront dans le paysage, il sera plus facile pour les suivants d’en ouvrir et d’en développer.

En somme, la mise en place d’un tiers-lieu en Guadeloupe est possible, mais cela nécessite un modèle économique solide, une trésorerie conséquente, un ancrage territorial fort et une volonté de mettre en œuvre une vision, d’atteindre des objectifs en faisant appel aux ressources locales. Et bien sûr, détermination et patience sont les clés.