Avant le sucre, avant le pétrole, avant le tourisme… il y a eu le sel. Ce minéral apparemment banal a longtemps été une richesse stratégique pour la Grande Caraïbe. Pendant plusieurs siècles, il a nourri les économies, les échanges et même les conflits.
Le climat chaud et venteux de nombreuses îles – notamment les Bahamas, les Îles Turques-et-Caïques, Saint-Martin, Aruba ou encore Bonaire – est idéal pour la formation naturelle de salines. Dans ces marais salants, l’eau de mer s’évapore, laissant derrière elle des cristaux blancs : l’or blanc de la Caraïbe.
Dès le XVIIᵉ siècle, les colons européens – Français, Hollandais, Anglais, Espagnols – ont compris la valeur de cette ressource et l’ont exploitée à grande échelle.
Un produit stratégique pour les empires coloniaux
À l’époque, le sel n’était pas qu’un assaisonnement. C’était le seul moyen de conserver les aliments, en particulier la viande et le poisson destinés aux marins et aux esclaves des plantations.Les navires partant d’Europe avaient besoin de grandes quantités de nourriture salée pour traverser l’Atlantique.
Sans sel, pas de morue salée, pas de bœuf séché, pas de traversée possible. Le commerce atlantique lui-même dépendait de cette ressource. Les salines de Saint-Martin ou des Turks and Caicos ont ainsi alimenté les flottes anglaises et françaises pendant des décennies.
Une ressource qui attise les convoitises
Le contrôle des salines provoqua de nombreux conflits locaux. Les Anglais, par exemple, ont occupé à plusieurs reprises les salines de Saint-Martin au XVIIIᵉ siècle. Les Hollandais, eux, ont transformé Bonaire et Curaçao en véritables plateformes d’exportation de sel vers l’Europe et l’Amérique du Nord.
Dans certaines îles, les esclaves travaillaient dans les marais salants sous un soleil brûlant, pieds nus dans les cristaux, dans des conditions extrêmes. Le sel fut donc aussi un marqueur de souffrance et de domination coloniale.
Du commerce à la culture
Même après la fin des grandes exploitations, le sel a continué à marquer la culture caribéenne. Il est présent dans les proverbes, les recettes traditionnelles (poisson salé, morue, harengs) et les rituels de purification et de protection.
Le sel a été le premier or blanc de la Caraïbe, bien avant le sucre. Il a façonné les routes commerciales, alimenté les flottes européennes, nourri les esclaves et forgé des paysages et des cultures.








