Je suis Mylène Colmar. Journaliste, consultante éditoriale et éditrice en Guadeloupe, j’ai créé ce blog en 2015 pour raconter ma région, ses acteurs et enjeux.

Présence de la Chine dans la Caraïbe : un rapport intéressant de l’Agence Française de Développement
Le rapport n°144 de l’Agence Française de Développement (AFD), intitulé La présence de la Chine dans la Caraïbe, publié en février 2015, analyse l’essor des relations entre la République populaire de Chine (RPC) et les pays de la Caraïbe insulaire. Réalisé en partenariat avec l’Institut des Amériques (IdA), il croise des approches géopolitiques et économiques pour évaluer l’ampleur de cette présence, historiquement dominée par l’Europe et les États-Unis.
Les auteurs, dont Carlos Quenan, Éric Dubesset et Antonio Romero, s’appuient sur des données statistiques souvent rares pour mesurer les investissements, le commerce, l’aide et les enjeux diplomatiques, en se focalisant sur une quinzaine d’États indépendants. Le document met en lumière une diversification croissante de l’influence chinoise, avec des opportunités de développement mais aussi des risques pour la région.
Parmi les chiffres clés, on note une multiplication par 100 des échanges commerciaux entre 1990 et 2008, et des investissements directs étrangers (IDE) chinois quintuplés depuis 2003, atteignant près de 450,5 millions EUR (converti de USD en utilisant le taux moyen de 2015 : 1 USD ≈ 0,901 EUR).
Contexte historique des relations sino-caribéennes
La présence chinoise dans la Caraïbe remonte au XIXe siècle, marquée par trois vagues migratoires. La première, dès 1806, a vu l’arrivée de coolies pour combler le manque de main-d’œuvre agricole : environ 125 000 migrants à Cuba, 15 000 au Guyana, 2 700 à Trinidad, 1 200 en Jamaïque et 500 au Belize.
La deuxième vague, dans les années 1910, concernait des marchands et colporteurs, intégrant des éléments culturels persistants à Cuba (langue, opéra). La troisième, depuis les années 2000, implique des travailleurs du nord-est de la Chine pour des projets d’infrastructures, représentant jusqu’à 10 % de la population au Suriname.
Sur le plan diplomatique, les relations modernes datent de 1960 avec Cuba, suivies par le Guyana et la Jamaïque en 1972. L’essor s’accélère au tournant du siècle : forums économiques en 2005 (Jamaïque) et 2007 (Chine), visites officielles récurrentes (Jiang Zemin, Hu Jintao, Xi Jinping).
En juillet 2014, Xi Jinping annonce à Brasilia un fonds de 18,02 milliards d’euros pour les infrastructures, assorti de 9,01 milliards d’euros de crédits et 4,505 milliards d’euros pour la coopération régionale, avant de signer 29 accords bilatéraux avec Cuba dans des secteurs comme la finance, les mines et la biotechnologie.
La question taïwanaise et les relations diplomatiques
La « question taïwanaise » est centrale : sur les 23 États reconnaissant Taïwan, 11 sont en Amérique latine et Caraïbe (dont la République dominicaine, Haïti, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie). Pékin conditionne souvent son aide à la rupture avec Taipei, comme pour la Dominique et la Grenade en 2005.
Sur les 15 pays de la Caricom, 9 reconnaissent la RPC contre 5 pour Taïwan ; avec Cuba et la République dominicaine, le ratio est de 10 contre 6. Cette rivalité se traduit par des marchandages : dons, prêts bonifiés et investissements pour influencer les voix aux Nations unies.
Évolution des échanges commerciaux
Les échanges commerciaux ont connu une croissance exponentielle, multipliés par 100 entre 1990 et 2008. Pour l’ensemble de la Caraïbe (hors Cuba), la part de la Chine reste modeste (moins de 10 % des échanges), mais les balances sont déficitaires en faveur de Pékin. Les importations caribéennes incluent des appareils électriques et textiles ; les exportations, des ressources naturelles (nickel, sucre).
Cuba représente un cas à part : la Chine est son deuxième partenaire commercial. Les échanges ont triplé de 480,233 millions EUR en 2000 à 1,4416 milliard d’euros en 2012, avec une croissance moyenne annuelle de 15 %, malgré une stagnation post-2008 due à la crise. Cuba exporte 10 000 tonnes de nickel par an, du sucre, du tabac et des produits biotechnologiques. En 2009, les échanges atteignaient 1,520988 milliard d’euros, retombant à 1,52269 milliard d’euros en 2012.
Des graphiques par pays montrent des tendances : par exemple, les importations jamaïcaines de Chine ont atteint 450,5 millions EUR en 2014 (15 % du total), tandis que celles de Trinidad-et-Tobago dépassent 360,4 millions d’euros.
Investissements directs étrangers chinois
Les IDE chinois ont quintuplé depuis 2003, frôlant 450,5 millions d’euros en stock total, dont la moitié pour Cuba et le Guyana. En 2010, le stock au Guyana dépassait 164,883 millions EUR ; à Cuba, il atteignait 131,546 millions d’euros en 2011.
Pour 2011-2012, l’Amérique latine et Caraïbe a reçu 13,515 milliards d’euros d’IDE chinois, mais la Caraïbe reste marginale (niveaux faibles en République dominicaine et Cuba initialement).
À Cuba, 11 coentreprises (joint-ventures) ont été créées, comme Taichí S.A. (riz, 1999) ou GKT (télécoms, 2000). Les secteurs prioritaires : énergie, mines, infrastructures.
Aide au développement et coopération
Depuis 2005, la Chine a intensifié son aide technique et financière via l’Export-Import Bank of China. Les prêts moyens annuels à la Caraïbe s’élèvent à 666,74 millions d’euros depuis 2010, comparables à ceux de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement. Exemples : stade de 31,535 millions d’euros aux Bahamas (2011) ; 2,703 milliards d’euros de prêts concessionnels à 9 pays Caricom (2013). À Cuba, plus de 207,23 millions d’euros entre 1990 et 2008 (135,15 millions d’aide, 72,08 millions de dons) pour 46 projets en éducation, santé et sécurité alimentaire.
La coopération diversifie : agriculture (riz au Guyana), infrastructures (aéroports à Saint-Vincent), santé (équipements post-séisme en Haïti). Pékin prône une « mondialisation équilibrée » sans bases militaires, axée sur des bénéfices mutuels.
Le cas spécifique de Cuba
Cuba est un partenaire stratégique : relations depuis 1960, renforcées post-effondrement soviétique. Échanges triplés depuis 2000 ; IDE favorisés par des accords (ex. : 180,2 millions d’euros pour les télécoms).
Perspectives : Zone spéciale de développement de Mariel (ZEDM), reliant Cuba au Panama, avec un potentiel géoéconomique accru. La Chine soutient les réformes cubaines, offrant un modèle de « socialisme de marché ».
Perspectives et enjeux pour la région
La présence chinoise croissante offre des opportunités : accès à des marchés (riz, fruits tropicaux pour Suriname et Cuba), financements pour infrastructures (port de Mariel).
Risques : dépendance accrue, déficits commerciaux, concurrence pour les industries locales.
Géopolitiquement, elle challenge l’hégémonie américaine, favorisant une multipolarité. Le document souligne la nécessité d’une coopération équilibrée pour un développement durable.







