Je n’y connais pas grand chose au cinéma.
Cela, je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises. Cependant, ce « monde » m’intéresse (de plus en plus), parce qu’il est plein de paradoxes : des films excellents et d’autres vraiment médiocres, des stars qui touchent des millions tandis que des acteurs/figurants vivent dans la précarité, et surtout des personnes extrêmement passionnées et d’autres bien moins ou même pas du tout, bien sûr.
Sevrine Guims fait sans nul doute partie des passionnés. Ce n’est pas elle qui me l’a dit. C’est juste ce que j’en ai conclu après nos échanges, parce que son ambition de développer l’industrie cinématographique caribéenne est un vrai défi à relever. J’y reviendrai. Cependant, auparavant, il faut bien que je vous en dise plus sur elle.
Ne vous attendez pas à voir Sevrine Guims dans un quelconque film ! Elle travaille en coulisses. Actuellement, intermittente en production, elle a créé en 2017 ScriptoKarib, une association qui a pour but de promouvoir le métier de scénariste dans la Caraïbe.
Comment cette idée lui est-elle venue ? Pour mieux vous l’expliquer, je suis obligée d’évoquer son parcours.
Après avoir obtenu son baccalauréat en économie, elle effectue une première année de droit à l’Université des Antilles. Cependant, ce n’est pas ce dont elle rêve.
« J’ai eu envie de faire du cinéma dès l’âge de 16 ans, mais il n’existait aucune formation en Guadeloupe. Je ne suis pas issue d’une famille qui navigue dans le milieu culturel. J’avais donc tout à apprendre. »
L’année suivante, elle rejoint l’Université Paul-Valéry-Montpellier pour y poursuivre des études cinématographiques. Elle ira jusqu’à la maîtrise. « Mon cursus universitaire a été un réel bonheur. Je me suis découvert un intérêt, un talent, pour la logistique de tournage, la production. »
Dans les années 2000, diplômée, elle exerce le métier de chargée de production de documentaires à Paris. Ensuite, elle fait de la production dans l’événementiel, elle mène des actions en politique de la ville, toujours dans l’animation autour du cinéma.
« J’étais intermittente. C’était compliqué en terme d’organisation, de projection sur le long terme. J’ai décidé de faire une pause et j’ai travaillé dans le domaine des assurances pendant 6 ans ».
Le cinéma à nouveau à plein temps, mais en tant qu’entrepreneure
« Ma deuxième vie après ma journée de travail, durant les week-end et les vacances, était de faire des films. Je n’ai jamais arrêté le cinéma. » En 2013, Sévrine Guims crée sa société de production, pour « développer des courts-métrages et des projets télévisés ».
« J’avais envie de monter de tels projets aux Antilles, mais trouver des auteurs antillais m’a pris un certain nombre d’années. »
Ses collaborations avec Florence Combaluzier, une scénariste et réalisatrice martiniquaise, l’incite fortement à rentrer en Guadeloupe. « Nous étions toutes les deux d’accord qu’il y avait beaucoup de choses à faire chez nous. Elle n’avait pas encore trouvé le bon binôme pour la production, car les réalités du territoire ne sont pas forcément comprises par les producteurs de la métropole. Et moi, je cherchais un auteur qui comprenne les problématiques des Antillais. »
« Pendant des années, j’ai fait beaucoup d’allers et retours entre Paris et ici. J’ai rencontré des productions locales, des institutions, etc. J’ai pu évaluer les besoins, les manques, mais aussi la formidable énergie de la jeunesse, son envie de faire les choses, même si tout n’est pas structuré. »
En 2016, de retour en Guadeloupe
Avec cette volonté d’apporter sa pierre à l’édifice, Sevrine Guims revient dans l’archipel. Elle occupe un poste d’assistante de production au sein de Skyprod durant quelques mois. Puis, choisit l’indépendance. Elle est aujourd’hui intermittente en production.
« J’ai trouvé que ma place était plus appropriée au côté des auteurs : identifier et faire connaître les professionnels existants, effectuer un travail de coordination pour structurer et former. En effet, pour pouvoir produire, il faut des bons scénarios. C’est le manque le plus important en Guadeloupe aujourd’hui. »
C’est la raison pour laquelle, en 2017, elle a lancé ScriptoKarib, une association à but non lucratif qui compte actuellement une quinzaine de membres et poursuit trois objectifs principaux :
- « – accompagner les auteurs par la formation ;
- – promouvoir leurs projets ;
- – favoriser leur mise en réseau sur les marchés nationaux et internationaux. »
« Si nous voulons nous voir à l’image, nous devons le faire nous-mêmes, en racontant nos histoires. Pour cela, il est important de sensibiliser les producteurs sur le fait qu’il existe des auteurs professionnels, mais également que le travail d’écriture se paie.
Avoir une production à l’échelle caribéenne intéressante, rayonnant à l’international, implique de justement maintenir cette production et faire vivre les auteurs, en les finançant, mais aussi en donnant envie aux jeunes d’écrire pour le cinéma. Il faut leur dire : « Vous pouvez le faire », « Nous avons besoin de vous », « Vous devez raconter vos histoires avec vos propres mots ». »
Accompagnement en termes de formation, de conseils juridiques, de motivation… Les auteurs peuvent obtenir une aide multiforme en rejoignant ScriptoKarib. L’adhésion coûte 30 euros.
« Pour un auteur seul dans son coin, c’est plus difficile d’avancer. En groupe, nous pouvons nous soutenir mutuellement. Les membres construisent ensemble une offre globale. »
« Nous souhaitons aider les auteurs-réalisateurs à progresser en terme d’écriture via des ateliers ou à faire appel à des auteurs professionnels. »
Dans les prochains mois, à la demande de deux sociétés de productions locales, Scriptokarib lancera auprès des membres de l’association un appel à projet de court métrage avec à la clé un contrat d’auteur et un accompagnement à la production.
Par ailleurs, depuis fin février, dans le cadre des assises de l’Outre-mer, l’association invite tous ceux qui partagent son engagement à soutenir le projet de création de Maison des auteurs en Guadeloupe.
« Nous ne pouvons pas développer l’industrie cinématographique caribéenne si nous ne soutenons pas les auteurs existants et si nous ne stimulons pas l’existence même de ces auteurs. » – Sevrine Guims, fondatrice de ScriptoKarib