Derri§re la fameuse carte postale caribbéenne, il y a des territoires fragiles — et de plus en plus menacés par le tourisme de masse. Pour que les îles continuent d’exister dans 20, 50 ou 100 ans, il faut repenser le modèle touristique : vers plus de respect, d’inclusion et de résilience.
Dépendance économique : une force et un piège
Le tourisme demeure l’un des piliers économiques de la région : il représente jusqu’à 22 % du PIB régional et près de 2,75 millions d’emplois selon la Banque mondiale.
Cependant, cette dépendance crée un double risque :
- Vulnérabilité aux crises — pandémie, catastrophes naturelles, fermetures de frontières.
- Fuite des revenus — une grande partie des profits va vers les groupes hôteliers internationaux plutôt que les communautés locales.
À creuser : la Banque mondiale propose des pistes pour bâtir un « tourisme inclusif et résilient » pour la Caraïbe.
Pression sur l’environnement : fragilité des écosystèmes
Les plages, récifs coralliens, mangroves, forêts tropicales… sont les joyaux de la région. Toutefois, l’urbanisation côtière, les bateaux de croisière, la pollution, l’érosion, les déchets, et maintenant des poussées massives de sargasses accentuent le stress sur ces milieux.
Un exemple : en 2025, une quantité record de sargasses — plus de 38 millions de tonnes — a touché les côtes de la Caraïbe, perturbant les plages, la faune marine et l’activité touristique.
Des initiatives commencent à émerger :
- Le Caribbean Coral Reef Stewardship Best Practices Brief, lancé par le Caribbean Alliance for Sustainable Tourism (CAST), promeut des actions pour restaurer les récifs et impliquer les acteurs du tourisme dans leur conservation.
- Le Blue Tourism Initiative travaille à promouvoir un « tourisme bleu » durable, en lien fort avec les communautés maritimes locales.
À approfondir : CAST, l’initiative de la Caribbean Hotel & Tourism Association (CHTA), offre des ressources et des formations pour intégrer de meilleures pratiques dans l’industrie hôtelière.
Inclusion sociale : remettre les habitants au centre
Le tourisme ne doit pas être qu’un spectacle offert aux visiteurs, mais un moteur de développement local. Or, trop souvent, les habitants demeurent spectateurs ou, pire, victimes — gentrification, hausse des prix, marges d’exclusion.
Pour inverser la tendance :
- Développer le tourisme communautaire — hébergements chez l’habitant, circuits gérés par les populations locales.
- Valoriser l’artisanat, la culture locale, les fêtes traditionnelles (carnaval, musiques, danses). Un récent rapport de l’UNESCO identifie 34 ressources culturelles clés en Caraïbe à valoriser dans le tourisme.
- Renforcer la formation, surtout pour les femmes et les jeunes, dans les métiers du tourisme vert.
Diversification et réduction de la saisonnalité
Beaucoup d’îles sont dépendantes de pics de fréquentation (saison « sèche »). Quand tout s’arrête, l’économie vacille. Pistes :
- Promouvoir les tourismes alternatifs : écotourisme, randonnées, tourisme culturel, plongée scientifique, gastronomie.
- Mettre en valeur les destinations moins connues (îles secondaires, terres intérieures). Par exemple, les Bahamas ont initié une campagne “Family Islands” pour sortir du modèle centré sur Nassau.
- Encourager des offres longue durée ou des expériences immersives hors saison.
Changement climatique : l’ombre qui plane
La Caraïbe est en première ligne : ouragans plus violents, montée des eaux, salinisation des sols, blanchissement des coraux.
Des stratégies d’adaptation deviennent vitales :
- Construction d’infrastructures résilientes face aux tempêtes, recul du trait de côte.
- Utilisation d’énergies renouvelables, de techniques d’architecture durable.
- Plans de continuité pour le tourisme en cas de crise.
Dans ce contexte, la coopération et des normes régionales fortes sont importantes : pour éviter une course vers le moins-disant environnemental et mutualiser les moyens.
Gouvernance et coopération régionale
Rien de solide ne se fera sans coordination. Les États, les collectivités, les acteurs privés doivent parler d’une même voix.
Quelques exemples :
- L’Annual Conference on Sustainable Tourism (STC) organisée par CTO (Caribbean Tourism Organization) existe depuis 1997 pour débattre des normes du tourisme durable en Caraïbe.
- La CTO / CARPHA Regional Tourism and Health Programme, un projet régional liant tourisme, santé et environnement, pour renforcer la résilience.
- Le Dutch Caribbean Nature Alliance (DCNA) coopère entre îles néerlandaises pour préserver la nature et lier conservation & tourisme.
Des initiatives inspirantes à connaître
Pour ne pas rester dans la théorie, voici quelques exemples concrets qui fonctionnent déjà :
- Molinere Underwater Sculpture Park (Grenade) : des sculptures sous-marines qui deviennent supports de colonisation corallienne, détournant une pression touristique des récifs naturels.
- Finca Gaia (Porto Rico) : ferme agroécologique qui accueille des visiteurs pour sensibiliser à l’écologie, rapprocher ville et nature.
- Hidden History — Decolonial Tour (République dominicaine) : une visite guidée qui restitue l’histoire depuis le point de vue des populations créoles, et non du point de vue colonial dominant.
Le tourisme durable en Caraïbe n’est pas un gadget marketing. Il s’agit d’un pari de survie pour des territoires vulnérables. Entre protection écologique, justice sociale, innovation et enracinement local, le chemin est exigeant — mais les îles qui sauront le prendre seront celles qui resteront vivantes, belles et solidaires.