La Grande Caraibe, « une espèce d’objet politique non identifié »

La Grande Caraibe, « une espèce d’objet politique non identifié »

« La Grande Caraïbe devient aujourd’hui une espèce d’objet politique non identifié », a affirmé Eric Nabajoth, maître de conférences en sciences politiques à l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG), lors de son discours de conclusion du colloque sur « La crise dans la Caraïbe : sens – enjeux – perspectives » qui se déroulait dans l’amphithéâtre de la faculté de Médecine de l’UAG, en Guadeloupe, le 28 novembre 2013.

Une formule choc, mais pertinente selon moi, tant les Caribéens peinent à définir la Grande Caraïbe, à s’entendre sur ce qu’elle est, devrait être, à mettre en place des institutions fortes, à s’organiser en somme.

Toutes ces interrogations, ces incertitudes, il faut sans nul doute en tenir compte pour évoquer, mesurer la crise DANS la Caraïbe, qui est en fait une « crise DE la Caraïbe », selon Eric Nabajoth.

Et pour lui, cette crise de la Caraïbe revêt trois formes : de sens, de l’organisation, de la pensée.

Crise de sens

« Nous sommes aujourd’hui à la recherche d’une lecture commune de la Caraïbe », a expliqué Eric Nabajoth qui a mis en avant le décalage entre cette absence de « lecture partagée » (qui se manifeste notamment dans la littérature) et cette volonté manifestée d’une « espèce d’unité Caraïbe ».

« Nous n’avons pas – globalement – dans la Caraïbe, construit ce discours commun, une histoire commune, des représentations communes qui feraient sens pour la totalité »

– Eric Nabajoth

Crise de l’organisation 

D’abord, cette crise existe « parce qu’il s’agit de construire des relations entre des Etats, des collectivités subétatiques des puissances tierces, a rappelé E. Nabajoth. Ensuite, dans cette construction, il faut tenir compte des asymétries et des différences de culture politique. De quoi parle-t-on : d’intégration, de coopération, d’insertion ? Et enfin, jusqu’où va la Caraïbe ? Comment la faire exister aux yeux du monde ? »

J’ai particulièrement été interpelé par les propos d’E. Nabajoth sur les collectivités subétatiques :

« C’est à la mode depuis déjà une dizaine d’années l’importance de la place des collectivités subétatiques dans les relations internationales… cette espèce de vocation de territoires qui ne disposent pas des attributs de l’Etat d’intervenir sur la scène internationale ».

Sont ainsi concernés les territoires autonomes, les non indépendants et les « démembrements des métropoles que sont jusqu’à aujourd’hui la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Puerto-Rico », selon l’expresssion d’E. Nabajoth :

« Tous ces territoires sont dans une espèce de formule où, d’un côté ils clament l’appartenance à leur métropole, de l’autre ils clament l’affirmation d’une participation à la politique régionale ».

« Comment les Caraïbes doivent s’y prendre pour mettre en place tout cela, associer tout cela, d’autant plus que JAMAIS on ne doit écarter le fait que chaque pays, tout en ayant une stratégie collective, a aussi une stratégie individuelle ? Dans les discours, ils parlent collectif. Dans la pratique, ils parlent individuel »

Eric Nabajoth a aussi mis le doigt sur une « faille » bien connue, mais qu’il est bon de rappeler : l’absence de distinction faite entre les termes intégration, coopération, insertion. « On utilise ces mots comme s’ils étaient équivalents. Ils sont profondément différents. Et tant qu’on n’aura pas saisi les différences qu’il y a entre ces mots, il sera difficile de construire des stratégies pertinentes ».

Crise de la pensée

« On est au coeur d’une crise de la pensée économique et de la pensée politique », a assuré E. Nabajoth. Beaucoup de choix en matière d’économie doivent être faits par les territoires caribéens, tout en n’oubliant pas « la dimension politique de l’économie ».

« Est-ce qu’il ne faut pas poursuivre une stratégie économique pour bâtir du lien social ? C’est un profond débat. »

En matière de politique de développement, que faire, pour quels objectifs, compte tenu du contexte actuel ? Autant de questions auxquelles les gouvernants caribéens doivent également répondre.

Au cours de son discours de conclusion, Eric Nabajoth a aussi dit :

« Celui qui fait des relations internationales aujourd’hui, s’il n’analyse pas les flux illégaux, il perd l’essentiel de ces relations. »

« Qui se préoccupe du fait qu’il y a un grand débat aujourd’hui pour déclarer Porto-Rico en faillite ? C’est un débat d’aujourd’hui ! »

Billet publié le 2 décembre 2013 sur mon précédent blog et très légèrement modifié. 

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