Albert Mangonès (1917-2002) est le plus grand nom de l’architecture haïtienne. Architecte, urbaniste, artiste, penseur de la ville et du patrimoine, il a profondément marqué le paysage bâti d’Haïti par son sens du détail, sa rigueur intellectuelle et sa capacité à marier modernité et tradition.
Né à Port-au-Prince, formé aux États-Unis, Mangonès rentre en Haïti à la fin des années 1940, avec une ambition claire : donner à son pays une architecture enracinée, mais tournée vers l’avenir. Son œuvre, d’une élégance sobre, est traversée par cette idée de « modernisme tropical » — un style qui s’inspire des matériaux, du climat, et des savoir-faire haïtiens, tout en intégrant les principes du modernisme international.
Visionnaire, il fonde en 1979 l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN), structure essentielle pour la restauration et la protection des monuments historiques du pays. C’est sous son impulsion que des sites emblématiques comme la Citadelle du Roi Christophe, symbole de résistance et de fierté nationale, ont été restaurés avec respect et précision.
Son œuvre la plus célèbre, le Nègre Marron, sculptée en 1967, transcende l’architecture pour entrer dans le domaine de l’art et de la mémoire collective. Ce monument, représentant un esclave en fuite soufflant dans une conque, est le symbole absolu de la liberté et de la résistance haïtienne. Il incarne l’âme du peuple, sa lutte, son souffle.
Cependant, son empreinte dépasse les bâtiments : il a aussi pensé la ville. À Port-au-Prince, il a mené des projets urbains d’envergure et milité pour un développement respectueux du patrimoine et des paysages.
Albert Mangonès laisse derrière lui une œuvre rare : celle d’un architecte habité par une idée de la beauté liée à la dignité et à la mémoire. Dans une Caraïbe souvent dominée par des influences extérieures, il a prouvé qu’il était possible de bâtir haïtien, et de bâtir grand.