En Guadeloupe, le coeur lourd : quand les entreprises se meurent…

Cela faisait longtemps que je voulais écrire ce billet de blog. J’avais envie de livrer ce que j’ai sur le coeur, fruit d’années d’entreprenariat, mais aussi d’accompagnement d’entrepreneurs, jeunes ou moins jeunes, débutants ou expérimentés… J’ai vu tant d’entreprises être fermées, « liquidées » au fil des années et, ces derniers mois, j’ai l’impression que c’est une réelle hécatombe.

Nombre d’entrepreneurs comptaient sur la reprise post-pandémie Covid-19. Cela était sans prévoir l’inflation, la vie de plus en plus chère, la frilosité des banques, les taux bancaires à la hausse et une morosité ambiante…

J’échange avec des porteurs de projet, des entrepreneurs de tous secteurs, quasi tous les jours. J’en interviewe. J’en rencontre aussi juste pour le plaisir, pour prendre le pouls. J’en ai beaucoup dans mon entourage proche.

Au-delà des statistiques, peu d’entre eux ont franchi la ligne d’arrivée qu’ils se sont fixés. Ils sont toujours en plein marathon, et certains commencent vraiment à manquer de souffle !

Demain, tous entrepreneurs… Ou pas !

En Guadeloupe, beaucoup d’acteurs concernés se gargarisent du fait que notre archipel présente un taux exceptionnel de création d’entreprises. Il est même en augmentation.

« En Guadeloupe, en 2021, le nombre de créations d’entreprises augmente de 20,4 % par rapport à 2020 et atteint un niveau record avec 6 750 nouvelles entreprises. La crise sanitaire n’a pas freiné la dynamique de création. » – Insee

Pour eux, c’est une statistique positive, qui montre un esprit d’entreprendre de plus en plus important, un dynamisme des acteurs, de certains secteurs… Ok, certes.

Cependant, combien de personnes ai-je rencontré qui se sont lancées dans l’entreprenariat « par défaut » :

  • elles ne trouvaient pas de travail dans leur secteur ;
  • elles n’étaient pas satisfaites des propositions de salaire des offres d’emploi ;
  • elles n’aimaient plus leur activité salariée ;
  • elles devaient poursuivre/reprendre l’entreprise familiale.

C’est triste, mais ce sont des réalités que j’ai constatées sur le terrain.

L’entreprenariat, c’est déjà très dur quand il s’agit d’un choix. Alors, imaginez quand vous avez pris cette option « à l’insu de votre plein gré » !

Miroir aux alouettes ?

A chaque fois que j’ai échangé avec des porteurs de projet, des entrepreneurs qui venaient de se lancer, j’ai fait le constat de quelques points, sujets de préoccupation.

 

1. Ils étaient emplis d’espoir d’une réussite fulgurante.

Ces réussites fulgurantes tant rêvées, je n’en ai vu que rarement en Guadeloupe. Nombre d’entrepreneurs à succès ont vécu des galères, des échecs. Peu en parlent (sauf en off), car il y a cet orgueil, cette horreur de l’échec, tous deux bien compréhensibles.

Beaucoup d’entrepreneurs ont vu leur activité se développer au fil du temps, grâce au bouche à oreille, à des opportunités saisies en faisant fi des peurs, interrogations habituelles.

 

2. Ils pensaient qu’ils disposeraient de toute liberté.

Créer et développer une entreprise, cela demande un investissement maximal.

Certes, il n’y a pas un patron au-dessus pour imposer des horaires, pour accorder des périodes de vacances et pour vérifier le travail accompli. Cependant, entreprise rime avec clients, charges et impératifs de toutes sortes. L’image d’Instagram où l’entrepreneur se prélasse sur la plage, c’est bien, mais ce n’est pas la vraie vie.

 

3. Ils étaient persuadés qu’ils étaient les seuls à avoir cette idée ou qu’ils feraient mieux.

La Guadeloupe est un petit territoire. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas un vrai marché et qu’une entreprise ne peut pas y prospérer. Cependant, cela veut aussi dire que les acteurs de tel ou tel secteur se connaissent bien, qu’il existe une concurrence exacerbée et que s’y faire une place implique d’avoir les reins solides.

Combien d’entrepreneurs m’ont expliqué qu’ils allaient bouleverser leur marché, révolutionner leur secteur, faire évoluer les mentalités… Des dizaines, année après année. Beaucoup s’y sont cassés les dents, parce qu’ils ont fait preuve d’audace, mais en ne mesurant pas suffisamment les embûches.

 

4. Ils manquaient d’informations pour la création, les aides, etc.

Avant de créer, on se renseigne. Qui, à notre époque, se lance dans une activité sans en connaître les grandes lignes, les axes d’accompagnement ? Qui, en 2023, ne commence pas par faire des recherches sur internet, contacter des professionnels dans le même secteur et s’informer auprès des organismes dédiés ? Des personnes qui veulent sauter des étapes, et précipitent ainsi leur chute, avant même d’avoir vraiment débuté. Prendre le temps ne veut pas dire prendre mille ans avant de passer à l’action, mais c’est faire preuve de sagesse.

Beaucoup d’entrepreneurs ont perdu du temps et de l’argent, car ils n’avaient pas choisi les bons statuts au moment de créer leur entreprise.

 

5. Ils étaient convaincus que les prêts et les subventions étaient garantis. 

Prenez garde ! Le discours habituel est de dire que les entreprises sont beaucoup accompagnées. Ce n’est pas faux. Cependant, il y a les refus de financer un projet par la banque. Cela arrive, je peux en témoigner ! Il y a aussi les délais qui s’allongent pour une subvention très attendue… Et là, galère de trésorerie, parce que vous comptiez dessus. Cela arrive, je peux en témoigner !

Certains entrepreneurs à succès affirment qu’il faut foncer et y croire. Moi, après des années d’expérience, j’ai appris à avoir des plans A, B et C, dès lors qu’il s’agit de budget.

L’argent est le nerf de la guerre. Certains veulent faire croire que non et souvent ce sont ceux qui sont dans le confort du salariat.

Tirez les leçons de vos erreurs ou de celles des autres. Faites en sorte de préserver votre trésorerie et donc votre santé mentale.

Fermetures après fermetures…

Je ne voulais pas écrire un billet pessimiste. Néanmoins, je ne peux que constater que même des entreprises perçues comme solides en Guadeloupe se retrouvent obliger de baisser rideau…

Les statistiques, c’est bien, mais ce n’est pas la vraie vie. Tout comme les posts sur les réseaux sociaux.

Derrière une entreprise, il y a un homme, une femme, des hommes, des femmes, des prestataires, des fournisseurs. Cela paraît évident, mais bon… Je l’écris quand même.

J’ai parfois le sentiment que certains voient comme une évidence qu’une entreprise se développe, prenne des stagiaires, des alternants, emploie des personnes. Cela n’a rien d’évident. C’est le fruit d’un travail et souvent de risques (calculés). C’est le résultat de sacrifices multiformes. Même en cas de reprise d’une entreprise familiale, ce n’est pas forcément gagné. Combien ont coulé l’activité en quelques mois ?!

Je ne sais pas vraiment comment conclure ce billet de blog, en réalité. Je me suis juste lancée, parce que j’avais envie d’écrire tout cela depuis longtemps. Je vous remercie donc d’avoir lu.

Le travail continue.

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Comments

  1. Karel

    Ce manifeste devrait être lu par tous ceux qui veulent se lancer dans l’entreprenariat dans notre petit pays de Guadeloupe. Ce n’est malheureusement pas le discours que l’on entend quand « on se lance » !

  2. Jeremie César

    Je me suis lancé il y a 7 ans sans préparer ma reconversion et j’avoue que j’ai commis des erreurs qui m’ont coûté très cher (temps, argent, énergie mentale et physique). Je bataille chaque jour pour redresser ma boîte et la mettre sur le bon chemin afin d’atteindre mes objectifs.
    Je préconise de bien se renseigner sur le secteur d’activité choisi et d’être bien accompagné pour un développement sain, durable et prospère.
    Merci pour le billet.

  3. Guylène GATIBELZA-RENÉ

    Bonjour Mylene !
    Merci pour ce témoignage tellement réel et qui qui reflète la vraie réalité. J’ai l’impression de lire mon histoire. Trop peu parlent de leurs difficultés et c’est dommage. Tu n’as oublié aucun point et détails . Je suis une fonceuse et quelqu’un de très optimiste, mais franchement je suis très inquiète. MERCI car cette analyse fera du bien à de futurs et ex entrepreneurs. Quand on est bien entouré de sa famille et d’amis, c’est moins douloureux.

    1. Mylène Colmar

      Bonjour Guylène. Merci à toi d’avoir pris le temps de lire et de commenter. Nos échanges font partie de ceux qui m’ont permis d’écrire ce billet. Oui, il faut être bien entouré. C’est une clé essentielle.

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