Entrepreneuriat en Guadeloupe : gorge serrée, rage au ventre et crises de nerfs

Je ne m’y attendais pas. Mon récent billet sur l’entrepreneuriat en Guadeloupe a suscité tant de réactions, de témoignages. Je remercie tous ceux qui ont pris le temps de lire, de partager et de commenter sur les réseaux sociaux ou dans la section dédiée sous le texte. Certains entrepreneurs ont même décidé de me passer un coup de fil !

Le retour que j’ai eu le plus souvent est que je n’en avais pas écrit assez. Je dois avouer que j’ai rédigé ce texte rapidement, car j’avais un poids sur le cœur depuis quelques jours et il fallait que cela sorte. J’aurais réfléchi un peu plus, le billet aurait sans doute été plus complet, plus pertinent pour certains points aussi. Toutefois, aurait-il eu cet accent de sincérité que les lecteurs ont été nombreux à souligner ? Je ne crois pas.

Cependant, j’ai eu envie de livrer un second billet, afin de compléter le premier, en évoquant tous ces « éléments » supplémentaires mentionnés par les entrepreneurs avec lesquels j’ai récemment échangé.

 

Galère, galère, galère

J’aime bien comparer l’entreprenariat en Guadeloupe à un marathon. Et quand je suis de mauvaise humeur ou en difficulté, je dis : « marathon perdu d’avance ».

Je ne devrais pas, car un de mes cousins, entrepreneur à succès, me disait encore hier que je me montrais bien trop pessimiste, tout en me rappelant que nous, entrepreneurs guadeloupéens, débutons souvent avec plusieurs mètres de retard.

Combien d’entre nous avons lancé une entreprise en disposant de ce trio important ?

  • Informations : gestion financière, relation commerciale, etc. ;
  • Financement : love money, prêt, apport personnel ;
  • Réseau : ces relations incontournables pour ouvrir des portes.

Il existe certes des accompagnements concernant la création d’entreprise. Cependant, une fois cela fait, dès lors qu’il s’agit de développer, structurer, renforcer, exporter, là cela se complique…. Il est sûr que ceux qui ont des parents, des proches entrepreneurs, qui ont baigné dans l’entreprenariat depuis très jeunes, qui bénéficient des fonds et des contacts des parents, de l’entourage, partent avec des mètres d’avance.

Eux comprennent comment le « système » fonctionne. Et si ce n’est pas le cas, ils auront toujours quelqu’un pour leur expliquer et même, si besoin, leur sauver la mise.

Attention : je ne dis pas que créer et réussir sans ces clés n’est pas possible. Je pense juste qu’il n’est point besoin de se flageller si, en partant de quasi zéro, l’entreprise n’est pas un succès. Je l’écris d’autant plus que, dans le premier billet, j’ai beaucoup mis en avant toutes ces raisons pour lesquelles nombre d’entrepreneurs ne réussissent pas, par leur « faute ».

Cependant, même en s’appliquant à faire de son mieux, il peut arriver que surgissent des embûches dont vous n’aviez même pas idée, car vous ne disposez pas de ce précieux « accompagnement » qui vous aurait permis de l’éviter. Et alors, une fois dans la galère, il ne vous reste plus qu’à ramer, pour éviter que le bateau coule. Parfois, c’est peine perdue. Hélas !

 

Mille et une raisons…

Je me suis beaucoup étendue sur ce premier point, parce qu’il était très important et qu’il m’a été mentionné à plusieurs reprises. Néanmoins, il existe bien d’autres axes de galère mentionnés par des entrepreneurs que je me dois donc de livrer. Une liste sans aucune hiérarchie, bien sûr.

Tous ces points sont basés sur des témoignages réels, des histoires vécues.

  • Les délais de paiement qui s’allongent

Une facture doit normalement être payée à 30 jours. Cependant, certains entrepreneurs ont constaté que même les clients censés avoir de la trésorerie prennent souvent bien plus de temps pour payer les factures émises. 60, 90, 120 jours et même un an, deux ans !

Quand tu comptes sur une somme qui n’arrive pas, cela peut être catastrophique, avec un effet domino dévastateur.

Et tu le vis d’autant plus mal quand tu vois que, dans le même temps, tes débiteurs continuent à se développer, à communiquer, à voyager, etc. Gorge serrée, rage au ventre !

 

  • Une vie sociale sacrifiée

L’entreprenariat, c’est quasi à plein temps. Pas de répit. Il y a toujours une problématique à régler, un dossier à boucler, un message à traiter… Un vrai marathon, à en perdre parfois le sommeil ! L’entrepreneur, qu’il travaille seul ou avec des collaborateurs, doit être disponible, d’où un agenda bien rempli. Et bien sûr, les autres pans de la vie en pâtissent forcément. Exit les réunions familiales, les réunions parents-professeurs ou encore les sorties bateau…

 

  • Les problèmes physiques et mentaux…

Pas de répit, peu de repos… C’est le physique et le mental qui sont mis à rude épreuve. Combien de chefs d’entreprises souffrent de grande anxiété, de burnout, de dépression ? J’en connais même qui continuent malgré tout, grâce aux médicaments, voire d’autres substances ! Triste.

Le mental est aussi mis à mal à cause de la solitude. Beaucoup d’entrepreneurs ne bénéficient pas du soutien de leur entourage qui ne comprend pas toujours les affres par lesquelles ils passent.

Même en expliquant à maintes reprises, il est parfois difficile de faire comprendre… Alors, de guerre lasse, nombre d’entrepreneurs préfèrent se murer dans le silence ou ne parler que des bonnes nouvelles, des réussites.

 

  • La présence écrasante des grands groupes

Dans un archipel comme la Guadeloupe, les grands groupes sont encore plus présents qu’ailleurs, plus incontournables. Il est difficile de se faire une place. Toi tu te lances en achetant 100 kilos, alors qu’un groupe achète 1 tonne dans le même temps. A qui donneriez-vous la préférence ? A qui feriez-vous les meilleurs prix ? Qui dépanneriez-vous en priorité ?

 

  • La grande frilosité des banques

Tu as une idée, un projet, en lequel tu crois. Tu vas donc voir ton banquier pour un prêt. Tu constitues un dossier, tu le soumets et tu y attends avec espoir. Au final, il te répond : NON. Pas un : non, accompagné d’une contre-proposition. Il te répond juste par la négative. Le problème est que te voilà donc à devoir chercher des financements ailleurs et la première question que l’on te posera est : avez-vous demandé un prêt à votre banque ? Et pourquoi ne vous a-t-elle pas suivi ?

 

  • Une zone à risques

La Guadeloupe est un archipel qui comporte nombre de risques naturels. Le premier est l’ouragan… Chaque année, il faut faire avec les catastrophes annoncées et toutes les conséquences qui vont avec : annulations d’événements, destructions des cultures, routes barrées, etc. Les impacts sur les entreprises diffèrent en fonction de leur secteur, mais nombre d’entrepreneurs tremblent dès lors qu’un cyclone est en approche.

 

  • Pas de « salaires »

Se verser un salaire quand on a une « petite » entreprise, ce n’est pas toujours évident. Entre les charges à payer, les entrées très variables et les problèmes de trésorerie, il n’est pas aisé d’assurer un versement mensuel pour nombre d’entrepreneurs. Ajoutez à cela, l’URSSAF, qui ne manque jamais d’envoyer l’avis à cotisations et de faire monter la pression – doucement mais sûrement – en cas de non-paiement. Mentalement, c’est dur, d’autant plus que l’entrepreneur est un homme et une femme comme les autres, qui a donc des charges quotidiennes, mais aussi des aspirations aux loisirs et aux voyages. Envers et contre tout.

 

  • Management et maux de tête

Au fil des ans, j’ai interviewé beaucoup d’entrepreneurs qui m’ont dit que les salariés en Guadeloupe ne sont pas « faciles ». Manque d’investissement dans l’entreprise, esprit de contradiction, voire de confrontation, mauvais comportements de toutes sortes (retards, bagarres, mensonges et vols, etc.)…

Cependant, il y a aussi une vraie problématique de management, car celui-ci n’est pas inné, contrairement à ce que beaucoup de chefs d’entreprises semblent penser. Bien sûr, si tu as une vraie empathie, une bonne logique et de réelles compétences, il est plus aisé.

Cependant, manager nécessite des clés que l’on peut acquérir en suivant une formation et/ou par l’expérience.

Or, quand tu es entrepreneur, ce n’est pas toujours une priorité, d’où des problématiques avec les salariés, prestataires qui s’accumulent.

 

  • Les « bonnes » personnes

Une entreprise sans compétences ne peut que couler à mon avis. Il faut un entrepreneur compétent. Des collaborateurs compétents. Autres qualités importantes : sérieux, rigueur, patience, détermination, dynamisme, ambition. Et aussi, la volonté d’apprendre, d’évoluer, de parvenir à remplir ses missions, à atteindre ses objectifs.

Pour choisir les bonnes personnes, il faut aussi voir clair, savoir prendre du recul, de la hauteur, afin de bien cerner les gens. Rien d’évident quand tu as la tête emplie de toutes sortes de défis à relever et à régler.

 

  • Les joies de l’administratif

Voici un point qui m’a été mentionné à de multiples reprises : les vicissitudes de l’administration. Et oui, je ne pouvais conclure ce billet sans mentionner le fait que les services administratifs constituent des grosses pierres sur le chemin de l’entreprenariat. Entre les lenteurs et les erreurs, les relances et les absences de réponse, que de temps et d’argent perdus ! Le défi est de faire preuve d’une patience redoublée.

 

Comment conclure ?

L’idée de ce billet de blog n’est pas de faire pleurer dans les chaumières, ni de dissuader d’entreprendre, mais d’expliquer, de faire certains rappels…

Des milliers de personnes en Guadeloupe ne savent pas du tout ce qu’est être entrepreneur.

Elles ont l’image des patrons de grands groupes, qui s’appuient sur des employés et enchaînent les réunions, les voyages et les déjeuners/dîners de travail. Elles ont l’image des entrepreneurs qui touchent des grosses subventions, ont de multiples clients, circulent dans des grosses voitures. Elles ont l’image de chefs d’entreprises habillés de pied en cap, avec de très jolies montres au poignet, portant des sacs luxueux, rencontrés dans des conférences, réunions networking ou lors de salons. Toutes ces images ne doivent pas faire oublier tout ce que j’ai mentionné plus haut.

Il n’y a pas UN entrepreneur, mais DES entrepreneurs, et autant d’échecs et de réussites.

Comments

  1. Elodie

    Très bon article dont les constats sont valables, selon moi, dans les autres territoires ultramarins. En ce moment les députés Jiovanny William et Elie Califer terminent une mission aux Antilles pour cerner les problématiques de l’évolution démographique des Outre-Mer et le maintien des forces vives sur ces territoires. J’espère que vous avez eu l’occasion de discuter avec eux. A défaut, les contacter pour faire part de vos constats serait d’une grande utilité vu votre expérience et lucidité. Merci encore pour votre travail

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