La presse écrite sénégalaise : diversité et dynamisme sur fond de crise

En arpentant les rues de Dakar, lors de mon séjour en 2013, j’ai constaté avec plaisir et surprise mêlés que beaucoup de vendeurs ambulants proposaient des quotidiens d’information. Et, il y avait des acheteurs pour ces journaux de quelques pages aux prix modiques : entre 100 (soit 15 centimes d’euros) et 200 francs CFA. La réputation de la presse sénégalaise d’être l’une des moins chères du continent africain n’est pas usurpée.

Je suis journaliste de presse écrite de formation, je suis naturellement avec grand intérêt la « crise » que traversent les journaux d’information dans le monde, et dans le cadre d’une formation à Dakar, j’avais pour binôme Mapote, mais surtout journaliste sénégalais expérimenté, travaillant actuellement pour le quotidien d’information dakarois L’office.

Je ne pouvais pas ne pas m’intéresser à la presse écrite sénégalaise.

Grâce à Mapote, j’ai pu rencontrer Moustapha Sow, gérant d’ARDO COM qui édite L’office et Station, un magazine people.

Entretien avec ce directeur des publications, également connu pour avoir lancé L’Observateur, le quotidien appartenant au célèbre Youssou N’Dour.

Q : Qu’en est-il de la presse écrite sénégalaise actuellement ?

Moustapha Sow : La presse écrite au Sénégal, c’est environ une vingtaine de quotidiens, dont quelques journaux sportifs, le reste faisant de l’information générale, mais aussi des hebdomadaires, des magazines people. Nous faisons donc presque tous de l’information générale et nous nous partageons le même lectorat qui n’est pas très élargi, malheureusement. Si on fait le cumul des tirages des journaux, cela tourne autour de 300 000 exemplaires par jour, parce qu’il y a le quotidien L’Observateur qui tire autour de 80 000-100 000  exemplaires. Pour les autres, cela varie entre 10 000 et 30-40 000. Concernant L’office, nous sommes dans la moyenne, entre 10 000 et 15 000 exemplaires.

La presse sénégalaise a toujours connu des difficultés, mais elles sont encore plus importantes actuellement. On parle de plus en plus de crise. Le pouvoir d’achat des Sénégalais a baissé, la situation est difficile dans le pays. Néanmoins, malgré tout, la presse sénégalaise reste très vivante.

Q : Vu le nombre incroyable de journaux, y a t-il une vive concurrence entre eux ?

Moustapha Sow : Chacun cherche à tirer son épingle du jeu. Il y a également la course au scoop, aux informations de première main qui apportent une certaine notoriété. Cependant, c’est une saine concurrence. D’ailleurs, nous avons un syndicat de patrons de presse qui essaye de mettre les organes dans des conditions de travail assez intéressantes. Nous sommes en train de discuter sur les voies et moyens pour permettre à tous de travailler en toute tranquillité.

Q : Les prix d’achat des journaux sont peu élevés. Comment l’expliquez-vous ?

Moustapha Sow : La presse sénégalaise est la moins chère du monde. Cela est extraordinaire, d’autant que les journaux s’en sortent difficilement. Les journaux sont devenus moins chers à cause de la concurrence. Trois journaux coûtent 200 francs, tous les autres sont à 100 francs.

Pour qu’un journal s’en sorte, il faut de la publicité, se battre pour l’obtenir, et même avec elle, c’est difficile. Le pourcentage de la pub varie selon les journaux. Certains vendent pour 50 à 60 millions de francs (environ 76 000 euros) par mois. Mais d’autres ont vraiment du mal à s’en sortir. 

Q : La presse sénégalaise peut-elle être qualifiée d’indépendante ?

Moustapha Sow : Ici, la presse est indépendante. Sous le régime précédent (celui d’Abdoulaye Wade), nous avons eu quelques problèmes. En 2006, j’ai été arrêté, j’ai fait 14 jours de prison après avoir été condamné pour diffamation à six mois ferme. Mais cela n’enlève rien à la liberté de la presse.

Q : Est-ce qu’en étant journaliste au Sénégal, on parvient à vivre, à vivre bien ?

Moustapha Sow : Ce ne sont pas tous les journalistes qui vivent de leur métier. Les journalistes professionnels qui sont recrutés y parviennent, car il y a la convention collective de la presse sénégalaise.

Néanmoins, cette dernière est contestée par des journalistes qui disent qu’elle a été rédigée par des gens qui ne veulent pas l’avancement des journalistes. C’est pour cela que beaucoup de journalistes mettent de côté cette convention, car elle ne les arrange pas. Ceux qui sont débauchés discutent leurs salaires directement avec les patrons. Certains journalistes de presse écrite touchent ainsi plus d’un million de francs, voire 1,5 million, par mois.

Le salaire minimum d’un journaliste est d’environ 120 000 francs (un peu plus de 1 500 euros). Beaucoup trouvent que cela n’est pas suffisant, car le journaliste doit être dans d’excellentes conditions pour travailler convenablement.

Fin de l’interview.

J’ai aussi demandé à Moustapha Sow pourquoi il avait décidé de créer son journal L’office, en 2005. Il m’a répondu, le sourire aux lèvres : 

« Je me suis rendu compte que je travaillais pour les autres. Et pourquoi je ne travaillerais pour moi-même ? Je me suis dit avec les moyens que j’ai, je peux, et advienne que pourra, comme on dit. »

Enfin, j’ai retenu sa réflexion-interrogation, à propos de l’affaire de Boukary Daou, journaliste arrêté et inculpé début mars au Mali :

« Le journaliste, son job est de fouiner, d’aller chercher l’information là où elle est. (…) En cas de conflit, quelles informations doit donner le journaliste ? Est-ce qu’il doit faire preuve de patriotisme et donner seulement quelques informations ? Ou est-ce que son devoir d’informer ne lui impose pas de donner la bonne information ? C’est là le dilemme auquel le journaliste peut être confronté. »

En couverture, Moustapha Sow, patron de L’office, un des nombreux quotidiens du Sénégal.

Billet publié en 2013 sur mon précédent blog. 

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