La Route de la Soie : une promesse et un danger pour la Grande Caraïbe

Une autoroute invisible traverse le monde. Pas de goudron ni de panneaux, mais des ports, des câbles sous-marins, des autoroutes et des accords commerciaux. C’est la Nouvelle Route de la Soie, le gigantesque projet lancé par la Chine en 2013. Derrière ce nom poétique, se cache l’une des entreprises géopolitiques et économiques les plus ambitieuses de notre époque. Et, oui, la Grande Caraïbe est directement concernée.

Un projet pharaonique

Quand Xi Jinping a lancé la Belt and Road Initiative (BRI), l’idée était simple : relier l’Asie à l’Europe et à l’Afrique par des routes terrestres et maritimes.

Dix ans plus tard, le projet s’est étendu à l’Amérique latine et à la Caraïbe. Les chiffres donnent le vertige.

  • Plus de 150 pays engagés.
  • Plus de 1 000 milliards de dollars d’investissements cumulés.
  • En Amérique latine et dans la Caraïbe, déjà 22 pays signataires d’accords de coopération.

La Chine, qui était un partenaire économique marginal dans la région il y a 20 ans, est désormais le deuxième partenaire commercial derrière les États-Unis, représentant 18 % du commerce extérieur de l’Amérique latine.

Ports, canaux, routes : la Chine avance ses pions

La stratégie est claire : contrôler les points de passage clés. Dans la Grande Caraïbe, cela veut dire les ports et le canal de Panama.

  • Jamaïque : modernisation du port de Kingston par la China Harbour Engineering Company.
  • Cuba : développement de la zone spéciale du port de Mariel.
  • Panama : adhésion officielle à la BRI dès 2017, alors que le canal reste un pivot vital pour le commerce transpacifique.

La logique est implacable : qui tient les routes maritimes tient une part du commerce mondial.

Des opportunités séduisantes… et des dettes lourdes

Pour les petits États caribéens, souvent en quête de financements, la Chine apparaît comme un partenaire providentiel. Routes, hôpitaux, ports, infrastructures énergétiques : tout cela est proposé avec des prêts avantageux.

Cependant, attention au piège de la dette. La Jamaïque doit déjà plus de 2 milliards USD (1,7 milliards d’euros) à la Chine. Dans d’autres pays, la dette liée aux projets chinois représente jusqu’à 15 % de l’endettement public. L’exemple du Sri Lanka, contraint de céder un port pour 99 ans à Pékin faute de remboursement, reste dans toutes les mémoires.

Une diplomatie pragmatique

Ces accords ne sont pas neutres. Chaque petit État caribéen qui signe devient un allié diplomatique précieux pour Pékin à l’ONU. Les votes de Saint-Vincent, de la Dominique ou du Suriname peuvent peser, notamment dans le dossier Taïwan ou sur les questions de droits humains.
La Chine avance avec une stratégie de long terme, pendant que les États-Unis, traditionnellement très présents dans la région, s’inquiètent de voir leur influence érodée.

La route passe aussi par le numérique

La Route de la Soie, ce ne sont pas seulement des ports et des routes. C’est aussi une infrastructure numérique.

  • Huawei équipe plusieurs îles caribéennes en 4G et 5G.
  • La Chine propose des câbles sous-marins pour relier les territoires.

Une aubaine pour des États insulaires souvent mal connectés… mais qui pose de vraies questions de cybersécurité et de souveraineté digitale.

Un jeu d’équilibriste pour la Grande Caraïbe

La Route de la Soie, pour la région, c’est une promesse et un danger.

  • Promesse de financements massifs, de ports modernisés, de réseaux plus rapides.
  • Danger d’un endettement insoutenable, d’une dépendance technologique et d’une perte d’autonomie diplomatique.

La Grande Caraïbe est ainsi au cœur d’un bras de fer discret entre Pékin et Washington. Les gouvernements caribéens doivent jouer les équilibristes : profiter des opportunités sans tomber dans les filets d’une nouvelle dépendance.