Pointe-à-Pitre ne fait pas partie de mes communes guadeloupéennes préférées. En fait, je me suis rendue compte que je ne vais au centre-ville que lorsque j’ai des rendez-vous. Il faut dire qu’il y a un élément de dissuasion massive : la difficulté pour stationner son véhicule, en particulier le matin.
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle je suis arrivée en retard à mon rendez-vous avec David Grégoire, photographe de profession, qui m’a proposé de me balader dans Pointe-à-Pitre. Son objectif : me communiquer sa passion pour la ville. J’ai passé plusieurs minutes à chercher une place, avant de me décider, de guerre lasse, à opter pour le parking privé payant. « Eh voilà, ça commence mal », me suis-je dit.
Je vous raconte cela comme si c’était hier, mais je me dois d’être honnête : cette balade, nous l’avons faite fin novembre 2017. Entre mes obligations professionnelles et les fêtes de fin d’année, j’ai pris beaucoup de temps pour rédiger ce billet. Cependant, je m’en souviens comme si c’était hier.
Ce jour-là, j’ai rejoint David Grégoire près du bien connu marché des épices. Je le rencontrais pour la première fois. Cependant, j’avais l’impression d’un peu le connaître puisque je le suis sur Instagram depuis longtemps et nous avons eu l’occasion d’échanger via messages privés.
Comme il pleuvait, nous avons effectué un premier arrêt dans un petit commerce qui vend entre autres des boissons frappées. David Grégoire a commencé à me raconter Pointe-à-Pitre.
J’ai vite compris qu’il a développé une relation passionnelle avec elle, avec les étapes que cela implique. Je vous explique.
La rencontre
« C’est vrai que la ville souffre d’une mauvaise image. Cela ne fait que quelques années que je suis là (ndrl : il est en Guadeloupe depuis 3 ans), donc je n’ai pas connu la période de violences. De plus, je suis arrivé lorsque des projets en stand by comme le Centre des arts commencaient à progresser. On m’a dit que j’avais eu de la chance de découvrir la ville au moment où un certain nombre de choses se débloquaient. »
La première (forte) impression
« J’ai réalisé que cette ville a une âme et un énorme potentiel autant pour les locaux que pour les touristes. »
« Pointe-à-Pitre est la seule vraie ville de l’archipel, avec un grand centre, des rues en damier. Cet espace urbain est unique en Guadeloupe. »
Les espoirs
Pour Pointe-à-Pitre, David Grégoire souhaite la multiplication d’initiatives tels que des commerces proposant une décoration et des saveurs au goût du jour, capables de séduire le grand public, en particulier les jeunes. « Il y a une jeunesse diplômée qui revient après avoir fait des études à Paris, Londres ou Montréal, qui a des habitudes de vie urbaine qu’elle aimerait retrouver ». Ainsi, selon lui, Pointe-à-Pitre pourrait offrir ce cadre de vie recherché par cette nouvelle génération.
L’émerveillement
« Quand je prends des photos, j’essaye de montrer un autre aspect de la ville, d’apporter quelque chose de différent. »
Avec son oeil de photographe averti, David Grégoire voit des détails séduisants qui échappent à la majorité. Heureusement, il prend nombre de clichés qu’il partage notamment sur Instagram, via son compte.
Il administre aussi le compte Instagram ig_pointeapitre, où sont relayées de belles photos postées par des instagrammeurs.
La volonté de renforcer la relation
Convaincu du potentiel de l’hypercentre de Pointe-à-Pitre, David Grégoire a réfléchi à plusieurs projets. Le premier : « ouvrir un établissement de bouche ». Le second : « créer une société de guides touristiques dans Pointe-à-Pitre ». Il a déjà effectué le tour de la ville pour identifier les points qu’il serait intéressant de faire découvrir. Son circuit est donc prêt.
Le temps des critiques
Bien sûr, même si David Grégoire est sous le charme, il a conservé sons sens critique. Fort heureusement. Et voici quelques points négatifs qu’il a relevés.
1. Tout ce potentiel non exploité
« Rien que sur la place de la Victoire, il y a plusieurs monuments à montrer. Je ne comprends pas pourquoi elle n’est pas plus mise en valeur. Je trouve cela dommage. »
2. Le manque de diversité dans les commerces
Au centre-ville, beaucoup de magasins vendent le même type de vêtements et de produits, ce qui n’est pas optimal. David Grégoire propose de rendre piétionnes deux, trois rues, pour commencer, et de faire en sorte que différents commerces s’y installent. Ainsi, « les touristes venant des bateaux de croisière notamment auront davantage envie d’acheter » et « la manne financière reviendra alors aux commerçants et à la ville ».
3. Les commerçants ne s’adaptent pas toujours aux clients
« Certains ne veulent rien changer, parce qu’ils ont peur de perdre leur clientèle ou ont un manque de volonté d’utiliser les nouveaux outils. »
« Je mise sur la nouvelle génération pour impulser une modernité qui va s’adapter à la culture guadeloupéenne, caribéenne. »
4. Le manque d’harmonie architecturale et d’entretien des bâtiments
« Les maisons créoles sont magnifiques, ce sont des atouts à valoriser. »
« Se poser, par exemple, sur la place de la Victoire et être entouré de bâtiments beaux et entretenus, c’est un gros plus. Le cadre de vie est important pour que les gens se sentent bien. »
5. Les nombreux logements à l’abandon
Du fait des problèmes d’héritage et d’indivision qui caratérisent la Guadeloupe, beaucoup d’habitations sont vides, laissées à l’abandon, ce qui n’est pas sans conséquence pour la ville. Vétusté, squattages, incendies, les problématiques sont multiples.
La relation installée dans le temps
Vous l’aurez compris, David Grégoire, observe avec un vif intérêt l’évolution de Pointe-à-Pitre. Il est d’ailleurs au courant de tous les projets. Exemples : la rénovation de la Darse dont les pieux s’enfoncent et qu’il faut donc rehausser ou encore l’aménagement touristique Karukera Bay, présenté dans le reportage d’Alizés TV ci-dessous.
Une fois que la pluie a cessé, nous avons pu poursuivre notre balade qui nous a menés près de la place de la Victoire, où le jeune homme m’a fait découvrir deux monuments.
Le premier : le monument du premier jour
Ce monument fait référence au débarquement des premiers indiens en Guadeloupe, le 24 décembre 1854. Il est situé du côté de la Darse.
Le second : le monument « Sang chaînes, 100 chaînes, sans chaîne »
Ce mémorial est « dédié (aux) ancêtres fusillés le 26 mai 1802 ». Il est situé dans un coin de la place de la Victoire et est donc mal mis en lumière.
Mais au fait, ce David Grégoire qui parle si bien de Pointe-à-Pitre, qui est-il vraiment ? Il fallait bien qu’il m’en dise plus.
« J’aime bien l’urbanisme, l’architecture, mais je ne suis pas architecte. Je suis surtout curieux. Je suis photographe, ce qui m’a permis de m’imaginer, par exemple, telle ou telle maison avec un commerce ou un aménagement, des couleurs pour la mettre en valeur. J’ai ensuite commencé à avoir des idées pour améliorer le confort des habitants et des touristes, afin que cette ville soit agréable pour tous. »
« Quand les gens prennent le temps de discuter avec moi, regardent mes photos, ils changent d’avis sur Pointe-à-Pitre. Beaucoup de jeunes actifs veulent s’y installer. Ce sont des premières victoires. »
Passsionnée, amoureux de cette ville, il aurait pu m’en parler encore des heures et des heures. Toutefois, la balade prenait fin. Je suis repartie plus informée et surtout moins sceptique sur le potentiel pointois. Et si je n’ai pas décidé de déménager à Pointe-à-Pitre, je la regarde d’un autre œil désormais.
Merci David Grégoire pour cette jolie balade !
PS (MAJ du 17/01/2018) : Je vous invite à aller voir l’exposition de David Grégoire sur la ville de Pointe-à-Pitre, sur le thème de « l’architecture créole », qui se déroulera du 20 janvier au 10 février 2018 au Centre Rémy Nainsouta de Pointe-à-Pitre, dans le cadre des Journées du patrimoine.
Comments
Un commentaire de Suzy sur Linkedin : « Mylène Colmar cet article m’a replongé dans la ville de mon enfance ! Une ville animée, des espaces de vie pour chaque période de l’année. Le cinéma Renaissance jusqu’au dernier festival de cinéma! La place de la victoire où déambulait petits et grands! Où j’aimais écouter des répétitions de groupes de musique. La rue Frébault avec ses mythiques devantures… la vendeuse de boudin devant le supermarché! La criée du marché centrale!
Un mélange de parfum et de sonorités qui s’en vont peu à peu et qui laissent s’installer une autre réalité, un autre pan de l’histoire de cette ville qui m’a vu naître…Les cuisinières, les carnavaliers, les grévistes, les rentrées scolaires, les Klaxons des bus, les vendeurs de poissons… »
C’est super de vanter les mérites de Pointe à Pitre, il faut porter ce regard d’amour sur notre patrimoine pour qu’il puisse être vu, valorisé et protégé. Bel article.
Cependant je me dois de corriger : ce n’est absolument pas la seule ville de l’archipel guadeloupéen !!!! Basse-Terre, le Moule et même Grand-Bourg de Marie-Galante possèdent également des tracés en damiers, qui témoignent de la volonté coloniale d’implantations urbaines rationalisées, par exemple. De surcroît, certaines de ces villes, dont Basse-Terre et le Moule, étaient déjà des joyaux de la Caraïbe quand Pàp sortait à peine des marécages. C’est super de valoriser Pàp, mais ce n’est pas nécessaire de dévaloriser d’autres villes de Guadeloupe pour le faire !
Merci de votre commentaire, très instructif. Je souhaite rebondir sur votre dernière phrase. Je n’ai pas perçu, chez David Grégoire, cette volonté de « dévaloriser d’autres villes », comme vous le mentionnez. Sa seule motivation était de mettre en lumière Pointe-à-Pitre et son potentiel. Cependant, merci d’avoir apporté cette précision. Bien sûr, la Guadeloupe compte nombre de magnifiques communes. J’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur ce blog et je le referai. Bien à vous.
La ville d’art et d’histoire de Pointe-à-Pitre est en mesure de proposer des parcours de visite variés et thématiques, très bien construits, par des guides conférenciers agréés par le ministère de la culture. Cet agrément garantit donc la transmission de données historiques et culturelles fiables. Je vous conseille de vous rapprocher du service culturel de la municipalité.