Caraïbe & innovation : l’incontournable casse-tête ?

Caraibe

Je plaide coupable.

J’ai moi-même utilisé à tout-va le mot « innovation » depuis quelques années. Innovant par ci, innovant par là…  Parfois, c’était vrai. Parfois, un peu moins. Peut-être. En même temps, qui suis-je pour déterminer ce qui est vraiment de l’innovation ou pas en ce bas monde ? Chacun analyse et décide en fonction de ses propres critères et références.

Revenons tout de même à la base, la définition du dictionnaire.

Je me suis tournée vers celui de l’Académie française.

Innovation : action d’innover ; résultat de cette action. 

Innover : introduire quelque chose de nouveau dans l’usage, dans une pratique, dans un domaine particulier. 

En lisant cela, je n’étais pas satisfaite, car cela restait tout de même très large. J’ai donc complété par une recherche dans le dictionnaire Larousse qui indique trois points pour le mot innovation :

  • Introduction, dans le processus de production et/ou de vente d’un produit, d’un équipement ou d’un procédé nouveau.
  • Ensemble du processus qui se déroule depuis la naissance d’une idée jusqu’à sa matérialisation (lancement d’un produit), en passant par l’étude du marché, le développement du prototype et les premières étapes de la production.
  • Processus d’influence qui conduit au changement social et dont l’effet consiste à rejeter les normes sociales existantes et à en proposer de nouvelles.

Autrement dit, innovation = nouveauté. Cependant, il y a un paramètre très important, surtout pour notre région, la notion d’échelle.

Innovation mondiale, ok, tout le monde voit. Deux exemples bien connus : l’iPhone, le smartphone d’Apple et Uber, la société de véhicules de transport avec chauffeur.

Cependant, il existe ce qu’on appelle l’innovation régionale. Plusieurs exemples.

Exemple 1

Bien sûr, la visite d’entreprise existait déjà dans le monde. Les plateformes les proposant aussi. Toutefois, Caraïbes Factory, créée par la Guadeloupéenne Sylvia Phibel-Puissant, est en train de développer ce concept en Guadeloupe et vise la Caraïbe.

> L’innovation est dans la structuration dans ce domaine et l’utilisation des outils numériques en matière de communication et de réservation, à l’échelle locale, puis régionale.

Exemple 2

Carel Pedre est une personnalité haïtienne qui s’est fait connaître internationalement en fournissant une foule d’informations, via les réseaux sociaux, suite au terrible tremblement de terre qui ravagé Haïti en 2010. Depuis, il a développé plusieurs plateformes : Chokarella, Plézi Kanaval et Chokarella Podcast Network. Cette dernière a popularisé les podcasts en Haïti, mais aussi constitue un exemple pour d’autres acteurs dans la région caribéenne.

> N’oublions pas que l’innovation peut aussi être dans la création de supports et de contenus.

En 2017, la Banque de Développement de la Caraïbe (CDB) a d’ailleurs lancé un fonds de 2,2 millions d’euros pour l’Innovation des Industries Culturelles et Créatives (CIIF) > article de Guadeloupe la 1ère. A noter que la CDB lance régulièrement des appels pour intégrer des Incubateurs/accélérateurs dans différents domaines des ICC. 

Exemple 3

Johanan Dujon, un entrepreneur saint-lucien, a réussi à créer Algas, un engrais organique, à base de sargasses, ces algues nauséabondes qui s’amassent une partie de l’année sur les plages de nombreux territoires caribéens. > article en anglais de Forbes

> L’innovation la plus connue peut-être : la création d’un produit, qui répond en plus dans ce cas-là à un double besoin : transformer les sargasses et fournir des engrais organiques aux agriculteurs, jardiniers.

La dynamique d’innovation régionale est réelle.

Cela fait des années que je fais de la veille sur l’actualité de la Grande Caraïbe et je peux vous assurer que je pourrais encore citer des dizaines d’exemples d’innovation locale, régionale.

J’ai bien sûr recherché des statistiques pour approfondir, étayer mon propos sur l’innovation. J’ai notamment trouvé quelques documents sur le site de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

« En Guyane, six entreprises sur dix ont innové entre 2010 et 2012. C’est davantage que la moyenne nationale d’une entreprise sur deux. Dans la lignée des entreprises de la filière spatiale, l’ensemble des entreprises de la région bénéficie d’une capacité d’innovation importante », selon une étude de l’Inse parue en 2014. 

« Entre 2008 et 2010, la moitié des entreprises antillaises de 10 à 250 salariés ont innové. Les entreprises antillaises innovent davantage en organisation car le secteur d’activité et la taille de l’entreprise sont peu favorables à l’innovation technologique. Au delà des coûts, la faible propension à innover technologiquement s’explique en partie par le faible niveau des activités de Recherche et Développement (R&D). » > étude de l’Insee parue en 2012 

J’ai cherché encore et encore… Je suis tombée sur un document de la Banque Inter-américaine de développement, très pertinent, mais qui date de 2010. Le titre :  « Science, Technology, and Innovation in Latin America and the Caribbean: A Statistical Compendium of Indicators ».

Dans l’introduction, il est précisé :

« L’information présentée dans les graphiques, les tableaux et les récits soulignent une dure réalité : les économies d’Amérique latine et de la Caraïbe sont mal préparées pour faire face aux défis de la société de la connaissance. L’investissement dans la science, la technologie et l’innovation continue d’être à la traîne derrière des niveaux comparables dans de nombreuses autres régions. La plupart des éléments nécessaires pour remédier à cette situation – chercheurs, universités, entreprises innovantes – sont en place, mais ils sont amoindris par une mauvaise coordination, un manque de financement et d’autres faiblesses. » 

Et d’ajouter plus loin :

« Globalement, s’il faut tirer une leçon générale de cet effort, elle est que les données restent beaucoup trop rares. Très souvent, des indicateurs ont été découverts uniquement pour une poignée de pays, empêchant ainsi des comparaisons et des généralisations plus précises ». (traduction personnelle)

Le manque de statistiques RECENTES, sempiternelle problématique ! Et ce n’est pas la seule. 

La dynamique d’innovation reste « freinée » par des manques encore criants.

Je pense aux connexions internet, financements, incubateurs/accélérateurs… Pendant mes recherches pour rédiger ce billet, je suis d’ailleurs sur tombée sur d’autres analyses complémentaires  :

– 10 raisons qui expliquent le manque d’innovation des entreprises touristiques antillaises 

– Improving Competitiveness and Innovation in the Caribbean.

 

Innover… A l’échelle caribéenne

La coopération entre les territoires est une solution pour que des projets innovants puissent passer de l’échelle locale à caribéenne et ainsi être à la fois plus importants et pérennes.

En ce sens, j’ai déjà évoqué sur ce blog l’initiative de COntacts et REcherches en CAraïbes (Coreca), de mettre en place un Réseau Régional MultiActeurs (RRMA). 

Il y a le programme de coopération Interreg Caraïbes, dont le premier axe est Emploi & innovation. 

Autre programme : l’Entrepreneurship Program for Innovation in the Caribbean, qui « cherche à créer un écosystème favorable aux entreprises durables et à forte croissance dans les Caraïbes. Le programme de 20 millions de dollars sur sept ans est financé par le gouvernement du Canada et mis en œuvre par infoDev et le Groupe de la Banque mondiale ».

D’autres programmes, concours, régionaux existent en fonction des secteurs. Il faudrait une liste… Si cela existe, faites-moi signe ! Sinon, je prendrai peut-être un jour le temps de la faire et de la mettre en ligne, comme pour les gouvernants de la Grande Caraïbe

Pourquoi, en cette rentrée, j’ai décidé de vous parler d’innovation ? Deux raisons principales.

1. Ce sujet est si vaste, si riche. N’est-ce pas ? Il était bien temps que je lui consacre un premier billet.

2. Un nouvel événement créé par Marvin Jernidier et Freddy Hildebert aura lieu cette semaine en Guadeloupe. Cela a été une piqûre de rappel. 

Nom de l’événement : Digital’Osez

Le slogan : Rejoignez l’innovation

Objectif : « arme(r) les entrepreneurs Guadeloupéens à exploiter les bénéfices de la révolution numérique »

Concept : une conférence gratuite d’environ 4 heures livrée par des intervenants pointus  :

  • Freddy Hildebert, chef d’entreprises ( Horizon Direct, Groupe Douz’h, Soprodec, MDJ, etc. ) consultant, conférencier
  • Betty Fausta, présidente de Guadeloupetech (cluster de l’économie numérique de Guadeloupe) et présidente d’Ipeos
  • Nicolas Bièvre, Data Scientist, Paypal, Ex-Google et Amazon
  • David Kremser, Campaign Manager, Google Irlande, Ex-Microsoft
  • Marvin Jernidier, Directeur délégué, Horizon Direct, Ex-Google Irlande.

Pour en savoir plus, direction le site officiel  ! Le programme est prometteur. J’y passerai donc. Pensez à réserver votre place.

Précision à 15h20 

A noter que Chantal Dagnaud, qui a monté un fonds d’investissement à l’innovation à Lyon et est expert européen en la matière, fournira du mentorat concernant les projets innovants le 20 septembre, en matînée. Un rendez-vous à l’initiative de GuadeloupeTech.

Comments

  1. Nelson

    Assez souvent quand on me parle d’innovation notamment dans le secteur des technologies numériques que ce soit en Haïti ou dans d’autres pays de la Caraïbe, je reste toujours sur ma soif. Le pourquoi ?
    1. À ma connaissance, il n’y a aucun produit innovant créer par une Start-up de la région et qui se trouve sur le marché caribéen, voire qui pourrait envisager d’autres marchés. ( En un mot en ce qui concerne l’innovation technologique, la région est encore à la traîne. )

    2. Prenons cet exemple :  » En 2017, la Banque de Développement de la Caraïbe (CDB) a d’ailleurs lancé un fonds de 2,2 millions d’euros pour l’Innovation des Industries Culturelles et Créatives…… » » Deux ans après ça a donné quoi comme résultat pour l’ensemble des pays de la Caraïbes ?

    3. » La dynamique d’innovation régionale est réelle. » ça encore je ne le crois pas et je ne le vois pas. D’ailleurs un peu plus loin, tu vas me donner raison : « L’information présentée dans les graphiques, les tableaux et les récits soulignent une dure réalité : les économies d’Amérique latine et de la Caraïbe sont mal préparées pour faire face aux défis de la société de la connaissance. L’investissement dans la science, la technologie et l’innovation continue d’être à la traîne derrière des niveaux comparables dans de nombreuses autres régions.  »

    Bref, j’ai appris pas mal de chose dans ce billet, il est vraiment riche et très intéressant. Mais en matière d’innovation, je crois qu’il reste beaucoup à faire.

    1. Mylène

      Merci Nelson d’avoir pris le temps d’argumenter ton propos. Bien sûr, oui, il reste beaucoup à faire, car le bilan est pour l’instant maigre, par rapport à ce qu’il pourrait être compte tenu du potentiel qui est bien là. Cependant, je peux t’assurer qu’il y a une réelle dynamique que j’ai constatée dans différents pays de la Caraïbe. Créations de cosmétiques, de produits agroalimentaires, d’artisanat, d’art, design/mode, applications, découvertes scientifiques concernant la biodiversité, le climat. L’innovation, ce ne sont pas que les produits. Il y a pas mal d’exemples… Bien sûr, il y a les bilans des programmes, mais il y a aussi ceux qui créent, développent sans ces programmes. Ils sont nombreux. Je reviendrai donc sur le sujet pour le prouver à force d’exemples, puisque je n’ai pas les statistiques pour le démontrer par les chiffres.

  2. Nelson

    Hâte de lire ton prochain billet sur ce sujet. Encore merci d’avoir ouvrir mes yeux sur certaines choses dans ce domaine. Cordialement!

  3. Pingback: Grande Caraïbe et innovation : un énorme potentiel à (encore) exploiter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.