Grande Caraïbe : d’un festival à la coopération, il n’y a qu’un pas…

Guadeloupe

Je ne vous raconterai pas le Karukera One Love Festival qui a eu lieu dimanche dernier à Saint-François et qui a réuni des milliers de personnes. Ce n’est pas qu’il n’y a pas à dire, bien au contraire. Cependant, je préfère consacrer un billet à un sujet qui me tient à coeur : le développement de la coopération entre nous, Caribéens.

Si je vous parle du festival, c’est parce qu’il a été à l’origine de la venue en Guadeloupe d’une délégation de Trinidad and Tobago composée de Glenda Layne, déléguée interministérielle en charge du carnaval de ce pays, et du Dr Francis Lovell, secrétaire d’Etat au ministère de l’éducation. Eh oui, la star de l’événément musical était le Trinidadien Machel Montano… Ceci explique cela.

Cependant, avant le festif, place aux discussions. Glenda Layne et le Dr Francis Lovell ont donc été reçus par Laurent Bernier, le maire de Saint-François, le 18 août, dans la commune. Quelques élus municipaux étaient présents, ainsi que Diana Perran, vice-présidente de la Commission coopération et affaires européennes et universités de la Région Guadeloupe.

Autant vous le dire, la rencontre en petit comité relevait plus du mode « faisons connaissance » que « signons des  coopérations concrètes ». Echanges d’amabilités et sourires en nombre… L’ambiance était conviviale.

J’ai retenu quelques points intéressants.

1. Une volonté de coopération affirmée du côté guadeloupéen, mais… 

Laurent Bernier l’a répété : il souhaite que des projets de coopération soient signés avec Trinidad. Il a parlé de jumelages avec des villes trinidadiennes, mais aussi expliqué qu’il pourrait y avoir des collaborations dans le cadre de l’apprentissage des langues, du tourisme, de la culture.

Exemple : le carnaval. Il est vrai que Trinidad and Tobago est le pays caribéen de référence en la matière, puisqu’il a réussi à en faire une vraie ressource économique, bénéficiant à nombre d’acteurs locaux. Le carnaval, c’est aussi une vitrine exceptionnelle pour ce territoire, puisqu’il attire des gens du monde entier.

Diana Perran, venue représenter la Région Guadeloupe, a elle indiqué que l’institution avait vraiment pour ambition de développer la coopération à l’échelle caribéenne. «C’est le début d’une nouvelle ère, d’une nouvelle coopération », a-t-elle même dit. Et d’ajouter que la Région compte s’appuyer sur Interreg Caraïbes,  programme européen dont elle a la gestion.

A noter que ce programme est bien ciblé : « Les axes de coopération retenus concernent : l’emploi et l’innovation, les risques naturels, l’environnement naturel et culturel, la santé publique, les énergies renouvelables, le renforcement du Capital Humain » (extrait issu du site officiel). 

D’autre part, comme pour tout programme européen, il faut suivre un long processus pour obtenir les financements escomptés… Autrement dit, il faudra bien avertir les voisins anglophones qu’il y aura les fameuses longueurs administratives et les importants délais d’exécution.

Dr Francis Lovell et Laurent Bernier – Photo Guillaume Aricique – HMP.

2. Un intérêt marqué du côté trinidadien, mais…

Dr Francis Lovell, secrétaire d’Etat au ministère de l’éducation, a commencé son discours en prenant un engagement : la prochaine fois qu’il viendra en Guadeloupe, il parlera français.

J’ai été impressionnée par son discours qui, même s’il fut court, a laissé transparaître sa maîtrise de l’histoire caribéenne et de ses conséquences et enjeux. Il a d’abord précisé que la Guadeloupe et Trinidad avaient un fort lien, parce que son pays a une histoire et une culture françaises aussi.

Cela m’a interpellé et je me suis bien sûr documentée à ce sujet. J’ai notamment trouvé un document fort intéressant de Bridget Bereton de l’Université des West Indies, publié sur le site Caribbean Atlas, dont voici un extrait :

« En reconnaissant qu’elle manquait de capacité nécessaire pour développer l’île selon le système colonial fructueux adopté par les Britanniques et les Français, l’administration borbonique entama une réforme, invitant les planteurs étrangers à s’y installer, en amenant leur main d’œuvre asservie, leur capital et leur expertise en agriculture tropicale. Les planteurs français, en particulier, furent ciblés, en vertu du décret ou Cedula de 1783 – ils étaient catholiques et la France était l’allié proche de l’Espagne à cette époque.

L’arrivée de colons français – dont la plupart étaient blancs, mais certains étaient des « gens de couleur libres » (des personnes libres, métisses, de descendance africaine et européenne) – transforma l’économie et la société de l’île vers la fin du 18e siècle. Ils amenèrent leurs esclaves avec eux, et d’autres arrivèrent directement d’Afrique dans les années 1790. »

Dr Francis Lovell a insisté sur le fait que Trinidad avait conservé une part de français dans sa culture, qui se retrouve même dans leur accent. Il a également souligné qu’il était dans l’intérêt de son pays de se rapprocher des îles françaises caribéennes, car cela permettrait d’avoir plus d’opportunités dans de multiples domaines.

« Nous sommes tous caribéens. Nous parlons différentes langues, cultures, mais nous partageons la même histoire. Il y a beaucoup plus de raisons pour que nous soyons ensemble, plus proches, que de raisons pour que nous soyons séparés. C’est une bonne chose que nous puissons établir des relations. »

Vous me direz, ce type de discours, nous l’entendons depuis des années et des projets de coopération, il pourrait en avoir plus, tant cela paraît une évidence. Cependant, n’oublions pas qu’une rencontre peut déboucher sur un projet qui peut déboucher sur des actions concrètes.

Laurent Bernier, Glenda Layne, Dr Francis Lovell, Diana Perran – Photo Guillaume Aricique – HMP.

3. Entre la Guadeloupe et Trinidad and Tobago, une « relation » de longue date, mais…

Je suis d’autant plus optimiste que Glenda Layne, déléguée interministérielle en charge du carnaval de Trinidad, a déclaré que des projets de coopération entre la Guadeloupe et Trinidad, il y en avait déjà, et ce, depuis de longues années. Diana Perran et elle collaborent ensemble dans ce cadre depuis… 2012. Et elle a bon espoir que d’autres projets voient le jour, et pas uniquement concernant les carnavals.

« Nous avons beaucoup de similarités. (…) Nous parlons notamment un patois français à Tobago. (…) Vous serez surpris à quel point nous sommes proches dans la Caraïbe. »

Glenda Layne a d’ailleurs demandé que la Région Guadeloupe fasse parvenir une invitation officielle de visite – dès que possible – à certains élus trinidadiens qui sont déjà informés et sensibilisés concernant les possibilités de coopération. « Nous pourrons ainsi discuter des partenariats envisageables parce que nous sommes vraiment ouverts à ça. »

Glenda Layne m’est apparue comme une femme d’action, qui a la volonté de concrétiser les dossiers en cours depuis des années, mais aussi d’en ouvrir d’autres. Diana Perran lui a répondu que la Région Guadeloupe serait ravie d’envoyer cette invitation. A suivre, donc.

Après les discussions, le terrain

Ensuite, les officiels trinidadiens ont participé à l’ouverture de « Jou a Bèf é Kabwèt », manifestation de l’association Kilti la qui se déroulait sur la plage de Raisins clairs. Ils ont ainsi pu découvrir quelques pans de la culture guadeloupéenne.

En conclusion,  la volonté est là. Il ne reste plus qu’à attendre les invitations, discussions, négociations, financements, concrétisations… Patience.

 

Photo de couverture : Guillaume Aricique – HMP.

Partager

Comments

  1. Mylène

    Commentaire d’Olivier sur LinkedIn que je me permets de relayer : « En ce qui me concerne, je suis intimement convaincu qu’une vraie coopération régionale est possible et que nous avons chacun à apprendre les uns des autres et surtout nous de nos voisins caribéens….
    Coopérer par et pour nous mêmes devrait être la priorité des priorités !
    La première chose à faire est d’apprendre à nous connaître et ainsi nous nous rendrions à quel point nous sommes proches !
    Les caribéens se présentent en tant que eux mêmes, càd barbadiens, trinidadiens, jamaïcains…etc….
    Mais nous , nous ne sommes pas nous ….guadeloupéens ? Français ? Européens ?
    C’est peut-être là un frein, contrairement à ce que nous pourrions penser !
    Dans les années 80 j’ai fait l’expérience avec l’université des west indies en coopérant directement avec eux et c’était génial ! À cette même période, j’ai mis en relation le conseil national de la culture indienne de Trinidad et l’association des amis de l’Inde de guadeloupe ; au début des années 90 j’ai été à l’origine de la fondation du CORECA….
    Autant d’expérience qui démontrent qu’une coopération par et pour nous et directe est possible !
    C’est mon avis ! »

  2. Nadege S

    Même si effectivement cette visite part d’un bon sentiment, j’ai la sensation qu’une fois que tous les violons auront été remballés, nous n’entendrons plus parler de cette visite et des retombées éventuelles. Qu’en est-il de l’initiative de la mise en place du réseau de Carnaval lancé par l’AEC il y a quelques années de cela? Qu’en est-il des multiples programmes de coopération existants dans la zone et des retombées de la présence de la Guadeloupe à l’AEC? Savez-vous qu’il y a une communauté à Paramin à Trinidad, qui parle le même créole que nous en Guadeloupe avec cette base lexicale française? Autour de cela, et de certains jeunes qui essaient de pérenniser cette langue réservée aux anciens, nous pourrions échanger, coopérer…
    En matière de coopération en Guadeloupe, il y a un gros problème celui de la vision. Qu’est-ce que nous voulons? Comment nous voulons? Et pourquoi nous le voulons? Quand on aura répondu à ces questions, et quand on aura compris que ce sont ces occasions qui peuvent faire naître de grandes choses on aura surement compris. Se cacher parfois, derrière la lourdeur administrative de certains projets n’est qu’un frein à la mise en place de projets concrets, car de petites goutes d’eau peuvent naître de très grandes choses.
    Patience, patience…

    1. Samuel aka KILTILA

      Pour avoir participé à la rencontre, j’ai pu sentir qu’il y avait une réelle volonté de travailler ensemble du côté Trinidadien, et sur des champs bien plus larges que le « Simple » carnaval.
      Après cela, effectivement il conviendra de définir le cadre et le but (quoi et pourquoi) de ces échanges, pour qu’ils se concrétisent…
      Je crois fermement que l’éducation et la culture sont des « common grounds » (comme souvent répété lors de cette rencontre) sont de bonnes bases de travail et d’échange !

  3. Mylène

    Autre commentaire sur LinkedIn, de Michèle : « J’ai adoré l’article …mais comme tu sous-entends attendre sur l’INTERREG est un « leurre » car encore faudrait-il que le projet comprenne plus qu’un partenaire caribéen (cf PO et conditions d’éligibilités) .En gros, si la région souhaite faire de la coopération régionale, il devrait l’intégrer dans une ligne budgétaire dédiée avec des projets propres (ou faire des appel à projets restreint pour des structures spécifiques)…Moi je vois bien un projet de jumelage culturel avec des associations comme jou a bèf é kabwèt ,akiyo etc..et le dernier village créole Paramin que j’adore où la culture du carnaval entre autre se rapproche de nos mass a po ou Sensays ..de Dominique (avec le lapo kabwit)…Time will tell ! »

  4. Mylène

    Lu su Twitter, commentaire de Sandra : « Merci @Mycho Mylène Colmar pour cet article intéressant. Ce sont ces rencontres humaines qui peuvent déboucher sur de beaux projets de #coopération #économique #GreaterCaribbean #Guadeloupe #TrinidadAndTobago »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.