« Les plus jeunes peuvent aussi s’intéresser aux problèmes »

Guadeloupe

J’ai récemment rencontré une jeune Guadeloupéenne, nommée Axelle Constantin. Son père me l’a présentée en me disant qu’elle était réservée mais pleine de potentiel. Après avoir discuté avec elle, je suis tombée d’accord avec lui. 

Etudiante en Langues Étrangères Appliquées au Département pluridisciplinaire de Lettres et Sciences Humaines de l’Université des Antilles à Saint-Claude, Axelle Constantin parle couramment quatre langues (français, créole guadeloupéen, anglais et espagnol) et apprend le portugais et l’arabe, via internet. Elle est passionnée de musique et de voyages, mais s’intéresse aussi « particulièrement à l’actualité et aux problèmes sociaux que nous rencontrons en Guadeloupe, mais aussi à l’étranger ».

Séduite par son profil, je lui ai demandé d’écrire un billet pour la rubrique Invité de mon blog. Quelques heures plus tard, elle m’envoyait le texte qui suit.

A toi, Axelle !

J’ai toujours vécu en Guadeloupe et je ne me vois pas vivre ailleurs que sur mon île. Elle représente ce que je suis, d’où je viens. Avec les années, ce sentiment d’appartenance à cette terre de merveilles d’une nature luxuriante s’est renforcé. Je n’ai jamais partagé les points de vue de certains camarades d’école qui préféraient les grandes villes à l’étranger, ou la France. Malgré tout ce que l’on pourra dire d’elle, cette île c’est chez moi.

Ce qui me chiffonne en revanche c’est de constater cette hypocrisie si flagrante de la part du Gouvernement. Certains évènements (récents ou non) m’on fait voir la réalité du gouvernement français. Jusqu’à un certain âge je ne comprenais pas tout, j’avais du mal à comprendre les raisons des grèves et des manifestations qui faisaient écho dans la presse locale. Mais plus je grandis, plus je réalise . Et certaines choses me révoltent.

Je sais que je ne suis pas la seule à faire les constats que je vais énoncer, d’autres se sont posés les mêmes questions avant moi. Cependant, je saisis cette opportunité de faire entendre ma voix, pour montrer que les plus jeunes peuvent aussi s’intéresser aux problèmes auxquels nous faisons face.

Je ne pense pas être la seule à me sentir en marge de la société française. En effet, ce sentiment se fait ressentir particulièrement quand nous faisons face à des problèmes majeurs.

Par exemple, depuis les cyclones Irma et Maria, les problèmes concernant l’eau en Guadeloupe ont ressurgi de plus belle, me mettant face à des faits que je n’avais jamais vus sous un certain angle. Ayant souffert d’un manque d’eau à cause des coupures régulières dans ma commune, sans compter que l’eau quand elle était de nouveau disponible n’était pas potable (l’a-t-elle jamais vraiment été ?), j’ai pris conscience que notre santé et le bien-être de notre population n’étaient pas une priorité pour la France. En effet, cela n’aurait jamais été acceptable (et accepté) en Hexagone. N’est-ce pas ? Alors pourquoi ici nous traînons encore cette problématique qui ne date pas d’hier ?

De plus, en faisant des recherches sur le chlordécone pour une présentation, j’ai constaté que non seulement nous ne sommes pas une priorité, mais nous ne sommes tout simplement pas considérés comme digne de bénéficier d’une réglementation sanitaire qui soit en accord avec nos droits humains à la santé et à la protection.

En 2008, l’Union Européenne fait paraître un règlement des plus discriminatoires, concernant le taux de chlordécome dans les aliments. Nous en sommes réduits à retrouver deux fois plus de chlordécone dans nos aliments, ici, aux Antilles. En 2008, j’avais sept ans ; ce qui veut dire que depuis au moins l’âge de sept ans (voire plus jeune), je consomme plus de chlordécone que quelqu’un qui vit en hexagone. Pourquoi ? Je me pose encore la question.

Enfin, avec l’incendie de la cathédrale parisienne, survenu il y a peu, je me rends compte que je ne compte pas pour la France. Du tout.

Une cathédrale de plusieurs centaines d’années émeut les Français aux larmes. Des hommages, des fleurs des larmes et de l’argent. Beaucoup d’argent. En très peu de temps. J’imagine que c’est pour cela qu’ici en Guadeloupe, le CHU peut bien attendre, ce n’est pas comme si c’était un édifice important… J’aimerais voir autant de gestes chaleureux, autant de dons et de soutien pour mon île qui n’a pas d’eau potable, et dont nombre d’habitants souffriraient de cancer de la prostate à cause du chlordécone dans la nourriture. Nous parlons là de l’un des plus forts taux de cancers de la prostate au monde.

Parfois, je me demande si un jour nous pourrons être capables d’atteindre l’autosuffisance dans la plupart des domaines, surtout ceux qui nous concernent directement. Toutefois, je suppose que cela ne tient qu’à nous.

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Comments

  1. Mylène

    Commentaire d’Alain sur LinkedIn que je mets de relayer : « Certains se sont investis. D’autres continuerons. C’est Sans fard et c’est tant MIEUX!!! »

  2. Mylène

    Autre commentaire sur LinkedIn de Nicky : « J’aime, j’adore. Félicitations Axelle. Une Axelle peut- elle en cacher une autre ? Oui ! Oui ! Oui! le regard de nos jeunes pourrait peut-être nous faire sortir de notre torpeur et nous redonner l’audace d’envisager de faire et de vivre différemment. Osons, être l’exemple sous les regards de cette génération. Donner les premiers coups de pioche, maintenant, car la relève est là. Elle observe et suivra notre sillage ( pour nos eaux),encore faut-il que nous fassions les sillons (pour nos terres). »

  3. Serge

     » Nous en sommes réduits à retrouver deux fois plus de chlordécone dans nos aliments, ici, aux Antilles. En 2008, j’avais sept ans ; ce qui veut dire que depuis au moins l’âge de sept ans (voire plus jeune), je consomme plus de chlordécone que quelqu’un qui vit en hexagone. Pourquoi ? Je me pose encore la question. »

    Malheureusement, les inégalités et le racisme se manifestent aussi, dans nos pays, par l’accès à une politique sanitaire juste et humaine. Nous rencontrons le meme problème au Brésil où le gouvernement autorise des produits et pesticides interdits en Europe. Et quand il autorise des produit permis en Europe, il dépasse largement la quantité de pesticides autorisé. Récemment la professeur de l’Université de São Paulo, Larissa Bombardi a lancé un livre choc, « L’atlas des agrotoxiques au Brésil et en Europe ». Elle publie des vidéos sur Youtube où elle expose ces problèmes. Je fais quant à moi très attention à ce que je donne à mon fils…

    Vraiment, un billet très pertinent… Bravo Axelle!!! Gostei muito !

    p.s: le lien des travaux de la prof Larissa Bombardi https://drive.google.com/file/d/1uRgO057EGY59I880BfPBu8LcviBpFD2V/view

    https://www.larissabombardi.blog.br/atlas2017

  4. Hervé Dauberton

    Regard lucide et éclairé de quelqu’un avec plein de potentiel, effectivement. C’est à la fois dur de lire ce constat amer mais aussi rassurant de voir qu’il vient d’une jeunesse brillante qui veut aime l’île et veut avancer.
    Bon choix.

  5. Mylène

    Je me permets de relayer deux commentaires publiés sur Twitter en réponse à la diffusion de ce billet :
    – 1idée : « Un beau billet, des vérités, des inquiétudes, un si profond attachement pour son île.. les mots d’Axelle sont justes et mettent en colère aussi… »
    – Fredon : « Grandir c’est passer de l’innocence inconsciente à la réalité consciente d’un monde que l’on veut infantile.
    “Le nationalisme est une maladie infantile. C’est la rougeole de l’humanité. ” – De Albert Einstein »

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