Spécial invité : « Nous avons besoin d’agir »

Guadeloupe

Michelle Maxo, je l’ai rencontré pour la première fois à l’occasion du Salon des maires et des collectivités de Guadeloupe qui se tenait les 13 et 14 juin derniers au WTC à Baie-Mahault en Guadeloupe. J’ai vu entrer dans l’amphithéâtre une petite dame avec un joli chapeau vissé sur la tête. Elle m’a fait tout de suite penser à une de mes tantes qui a un goût fort prononcé pour les couvre-chefs.

A la fin d’une table ronde dont j’étais la modératrice, dans le cadre des questions du public, elle a pris la parole en expliquant qu’elle était une élue et qu’elle avait pris le temps de rédiger un texte qu’elle tenait à lire. Malheureusement, le temps manquait, j’ai dû l’interrompre. Cependant, je lui ai proposé de me contacter par la suite, car je pourrais peut-être lui offrir un support via lequel elle pourrait partager son texte. Elle l’a fait !

Je me devais donc de tenir parole en lui ouvrant mon blog, en lui offrant une page blanche de ma rubrique Invitée pour sa lettre ouverte qui s’inscrit dans le cadre de la tenue du XVe Congrès des élus qui se tient aujourd’hui et demain au Conseil départemental.

A vous, madame Maxo !

Face aux réalités économiques, sociales et sanitaires de la Guadeloupe, comment agir ?

Plusieurs éléments sont à prendre en considération.

Tout d’abord parlons d’hier pour revenir à aujourd’hui où des dossiers lourds gangrènent notre quotidien.

La Guadeloupe d’hier à aujourd’hui, quelle évolution ?

Notre population est née d’une période douloureuse, comme chacun le sait.

Elle a eu l’obligation de tout construire avec rien, elle a tant bien que mal réussi.

Par ailleurs, ceux qui opprimaient jadis ont été largement indemnisés tandis que les autres se sont retrouvés sur les bas côtés des chemins et des sentiers, dépourvus de tout, sans recevoir réparations et sans qu’une politique visant à leur redonner leurs chances sur le long terme soit mise en place.

Cet état de fait, nous le subissons encore par la consolidation des inégalités et des précarités avec une succession de politiques choisies qui sont une chance pour l’Hexagone mais une illusion pour nos territoires.

Quelques exemples, s’il en est besoin pour illustrer mon propos.

Le seuil de pauvreté de 600€ en Guadeloupe est fixé à 950€ dans l’hexagone, alors que le coût de la vie est plus élevé dans notre département gangréné par le chômage dont le taux est de 23% en Guadeloupe contre 9 % dans l’hexagone.

Les cotisations d’assurances sont 60 % plus chères dans notre département.

Sur le plan sanitaire, la Guadeloupe a été conduite vers une catastrophe avec l’utilisation du chlordécone jusqu’en 1993.

La transition est donc toute trouvée pour m’exprimer sur le dossier chlordécone.

Ce produit cancérigène qui a été déversé dans les bananeraies par des travailleurs agricoles pour y éradiquer le charançon a multiplié les pathologies chez ces malheureux quand ils ne décédaient pas purement et simplement.

L’Etat, dans sa «générosité », a élaboré 3 plans chlordécone pour moins d’un million, tandis que pour le même dossier, les indemnisations se chiffraient à plus de 2 milliards pour les victimes et leurs familles en Virginie, état américain où ce produit a été fabriqué.

Les différentes plaintes déposées dont la première date de 13 ans, a été délocalisée vers l’Hexagone…Tout est verrouillé en dépit des pétitions adressées à la Commission des Pétitions de l’Union Européenne.
Par ailleurs, après moult combats, alors qu’il est admis que 90% de notre population est infectée par les molécules de ce perturbateur endocrinien, les défenseurs de l’environnement ont pu être autorisés à se faire dépister par un prélèvement sanguin et, là encore, il faut débourser pour se rendre à la Martinique et payer de surcroît 130€ pour cet examen ; une négociation permettrait que la note passe à 70€.

Quand des études au niveau de la population relèvent qu’il est dénombré 1000 cas de cancer par an dans notre département avec un fort pourcentage de décès, quand nous savons que le chlordécone est un perturbateur endocrinien, il est légitime de s’inquiéter.

Parallèlement, le Président de la République, M. Macron, vient affirmer devant les médias que ce pesticide interdit depuis bientôt 30 ans dans l’Hexagone n’est pas cancérigène. C’est un mépris pour ceux qui vivent au quotidien cet empoisonnement. Faut-il rappeler que 25% de nos terres sont empoisonnées pour plusieurs siècles !

Un autre fléau vient ternir le tableau déjà sombre de notre île aux belles eaux, l’arrivée depuis 6 ans des algues sargasses.

En dépit des difficultés rencontrées par nos communes et Communautés d’Agglomération et malgré les dispositifs existants pour la prise en charge de cette catastrophe par l’Etat, il fait fi de ses obligations et transfère aux communes la responsabilité de la gestion des opérations, par ailleurs extrêmement coûteuses.

Ainsi, le plan Plan d’Urgence Local Sargasses (PULSAR) est activé en lieu et place du plan Pollution Marine (POLMAR). Ce dernier dispositif apporterait un ballon d’oxygène aux communes affectées par l’invasion de ces algues brunes mettant en danger la santé des populations qui inhalent des gaz toxiques (hydrogène sulfuré, ammoniaque…) et menacent la faune et la flore marine.

Cette situation est très préoccupante. L’Etat, par le biais de la Dotation des Équipements des Territoires Ruraux (DETR) a payé 80 % des factures correspondant au ramassage des algues sargasses durant l’année 2018.

En termes clairs, l’Etat s’est contenté de réduire sur les dotations des Collectivités pour financer ces mêmes Collectivités. C’est tout simplement donner d’une main pour reprendre de l’autre.

Cette opération va tout naturellement obérer les budgets des communes, les privant ainsi de doter leur territoire d’un certain nombre d’infrastructures pouvant permettre de réguler les difficultés économiques, sociales et sociétales de la Guadeloupe.

Pour conclure, la Guadeloupe est un Département dont la structure économique est déficitaire (balance commerciale négative) avec des transferts sociaux qui profitent à l’Europe puisque 90 % de notre consommation est issue de l’importation.

Toutefois, il nous est reproché de fuir nos responsabilités cependant qui réellement fuit ses responsabilités ? La France grâce à ses Outre-Mer est la deuxième puissance maritime. Cet atout ne se traduit pas en quelque bénéfice que ce soit pour nos territoires mais sert toujours les mêmes intérêts historiques et fait de nous des pions dans un jeu d’échecs géopolitique qui se joue depuis des siècles.

Il nous est demandé aujourd’hui de participer à l’effort national alors que durant des générations nous avons incarné l’effort national. Nous sommes l’effort national. Et c’est cet effort forcé multi-générationnel qui est à l’origine de la situation économique et sociale catastrophique actuelle.

Le Congrès des élus départementaux et régionaux qui va se tenir doit prendre en compte tous ces paramètres.

À mon sens, vouloir mettre en avant l’évolution institutionnelle ou statutaire de la Guadeloupe sans fixer les bases de la construction de notre Guadeloupe en mettant l’Etat face à ses Responsabilités serait une grave erreur.

Il faut donc que :

1) L’Etat acte que l’Outre Mer, et singulièrement la Guadeloupe, a une position particulière qui exige que l’Etat établisse comme il aurait dû le faire depuis longtemps une véritable égalité avec les départements hexagonaux avant qu’il ne nous soit demandé de participer à quelque effort national auquel nous avons déjà largement contribué au fil des générations.

2) Des moyens nous soient donnés sur le plan administratif pour avoir des ouvertures de crédit au niveau bancaire. La BPI doit pouvoir jouer son rôle pour aider nos petites et moyennes entreprises à se structurer. Là encore, nous sommes des créateurs d’entreprises mais la fragilité de notre fond de roulement est un frein à l’investissement et la dynamique de nos structures s’en ressent.

3) Les fonds européens doivent être versés, non en aval, mais en amont si ces fonds doivent véritablement aider à accompagner nos entrepreneurs.

4) La gestion des dossiers chlordécone et algues sargasses doit être impérativement reconsidérée suivant les éléments présentés plus haut.

5) L’Etat doit, dans les meilleurs délais, donner des moyens financiers aux agriculteurs pour se convertir à l’agriculture biologique ou à l’agroforesterie et aux marins pêcheurs la possibilité de se reconstruire.

Nous avons besoin d’agir ; cette volonté collective existe (des chantiers se tiennent régulièrement avec des acteurs locaux). Cependant, nous voulons aller plus loin car aujourd’hui, vous conviendrez que nous sommes sur une poudrière au vu des éléments exposés.

Michelle MAXO

  • Élue municipale et communautaire,
  • Membre d’Europe Ecologie Les Verts.
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